Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/477

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qu’ils obtiendront un jour une récompense pareille à celle des justes, c’est le comble de la démence. Que dites-vous là : « Si le riche, après avoir quitté ce monde, est puni là-bas, un fait un ? » – Que signifie ce mot ? Combien d’années voulez-vous que nous supposions qu’il a joui de ses trésors ? Voulez-vous que nous mettions cent ans ? Eh bien ! j’en mets deux cents, trois cents ; j’en mets deux fois plus ; si vous y tenez, j’en mets mille, bien que ce soit impossible : car le chiffre de nos années ne dépasse pas quatre-vingts, a dit le Psalmiste. (Ps. 89, 10) Toutefois supposons mille ans. Pouvez-vous, je vous prie, me montrer une vie qui n’ait ni fin ni limite, telle qu’est la vie éternelle des justes ? Voyons donc si quelqu’un, dans l’espace de cent ans, eût fait pendant une seule nuit un beau songe qui lui eût procuré dans le sommeil les plus abondantes jouissances, et qu’ensuite on lui eût infligé, à cause de ce songe, un supplice de cent ans ; est-ce que vous pourriez dire en ce cas un fait un ? Est-ce que le songe de cette unique nuit pourrait équivaloir aux cent années de supplices ? Impossible ! eh bien, raisonnez de la même manière sur la vie future. Ce qu’est le songe d’une seule nuit par rapport à cent années, la vie présente l’est par rapport à la vie future : elle est moins encore. Ce qu’est une petite goutte d’eau par rapport à l’immense océan, des milliers d’années le sont par rapport à la gloire et au bonheur de l’éternité. Du reste, que pourrais-je dire de plus, sinon que la vie future n’a pas de terme, et qu’elle ne connaît aucune limite ? Autant il y a de distance entre un rêve et la réalité, autant il y en a entre l’état de la vie présente et celui de la vie future.
D’ailleurs, avant même de recevoir là-bas leur châtiment, ceux qui font le mal et qui vivent dans le péché sont punis dès ce monde. Ne venez pas me dire niaisement : « Un tel tient table ouverte et somptueuse ; il n’est revêtu que des étoffes les plus précieuses ; il se fait partout escorter d’une troupe de clients ; il a le pas au forum sur tout le monde. » Ne me dites pas cela ; mais soulevez un peu le voile qui cache la conscience de cet homme-là, et vous verrez au dedans l’effrayant tumulte des péchés, les craintes perpétuelles, le trouble, la tempête ; vous verrez sa pensée comme en un tribunal, monter sur le royal trône de la conscience, y siéger comme un juge incorruptible, faire agir les remords en guise de bourreaux, torturer cette âme et la déchirer, pousser des clameurs terribles : nul ne connaît cela, Dieu seul en est spectateur. Celui qui commet l’adultère, fût-il riche à millions, fût-il débarrassé de tout accusateur visible, ne cesse pas de s’accuser lui-même dans le secret de son âme ; il a joui d’une volupté passagère, et sa punition est perpétuelle ; assiégé de tous côtés par les craintes et les terreurs, par les soupçons et les angoisses, il redoute les rues étroites et obscures, il a peur d’une ombre, il se défie de ses serviteurs, de ses complices, de la femme qu’il a corrompue, du mari qu’il a déshonoré ; il va et vient, traînant partout son remords comme un impitoyable dénonciateur ; toujours condamné par son propre jugement, il ne trouve pas un instant de répit. Au lit et à table, sur le forum et dans sa demeure, de jour et de nuit, jusque dans ses songes, il aperçoit les fantômes de son iniquité ; il mène la vie de Caïn gémissant et tremblant sur la terre : nul ne sait ce qui se passe au dedans de lui, mais il n’en porte pas moins dans le cœur un incendie qui grandit toujours davantage. Tel est le supplice qu’endurent également ceux qui commettent des rapines, qui font des gains frauduleux, qui se livrent à l’ivrognerie, tous ceux enfin qui vivent dans le péché. Rien ne peut corrompre ce jugement de la conscience. Lors même que nous ne pratiquons pas la vertu, nous souffrons de ne pas la pratiquer. Lors même que nous nous livrons au vice, nous en ressentons la peine à l’instant même où cesse la rapide volupté qu’il nous procure. Ne dites donc jamais, en parlant des riches qui mènent ici-bas une vie de péché, et des justes qui jouissent dans le ciel du bonheur parfait, ne dites jamais qu’un fait un et que deux font zéro. Pour les justes, la vie de ce monde aussi bien que la vie éternelle est une source abondante de jouissances ; mais les hommes, dont la vie se passe dans l’iniquité et dans la fraude, sont châtiés ici et là-bas. Ici, ils sont tourmentés par la perspective des supplices qui les attendent, par la pensée de la triste opinion que l’on a d’eux, enfin par la corruption même du péché qui gâte leur âme ; puis, quand ils auront quitté ce monde, ils auront à endurer d’effroyables tourments. Les justes, au contraire, au milieu même des maux les plus nombreux et les