Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/478

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plus terribles, jouissent d’une volupté pure, calme, inaltérable : ils se nourrissent des plus magnifiques espérances ; après quoi, les biens infinis de l’éternité leur seront prodigués comme ils le furent à Lazare. Ne m’objectez pas que ce Lazare était tout couvert d’ulcères ; considérez plutôt que sous les plaies de son corps il cachait une âme plus précieuse que tout l’or de la terre ; et même, pour être plus exact, je devrais parler de son corps aussi bien que de son âme. Le mérite et la force du corps consistent, non pas dans l’exubérance et l’embonpoint de la chair, mais dans cette vigueur qui a résisté à tant de cruelles souffrances. L’homme dont le corps porte de telles blessures n’est pas celui qu’il faut avoir en horreur, mais l’homme qui laisse son âme dévorée par d’innombrables ulcères dont il n’a nul souci, voilà celui qu’il faut prendre en dégoût : tel fut le riche, rongé jusqu’au fond du cœur par les plaies de ses vices. Les chiens léchaient les plaies de Lazare, et les démons les péchés du riche ; et de même que Lazare vivait avec la faim de la nourriture matérielle, aussi le riche vivait dans la disette de toute vertu.
12. Comprenons bien toutes ces choses, raisonnons sagement et ne disons plus : « Si Dieu l’eût aimé, il ne l’eût pas livré à la pauvreté. » Voilà précisément une des principales marques de l’amour de Dieu, car le Seigneur châtie celui qu’il aime ; il flagelle tous ceux qu’il reçoit pour enfants (Heb. 12, 6) ; nous lisons encore ailleurs : Mon fils, si vous vous offrez au service du Seigneur, préparez votre âme aux épreuves ; tenez ferme votre cœur et persévérez. (Sir. 2, 1) Repoussons donc ces vaines opinions, ces propos qui ont cours dans le peuple ! Que jamais vos lèvres ne profèrent ni turpitudes, ni sottises, ni bouffonneries. (Eph. 5, 4) Ne prononçons jamais de paroles de cette sorte ; et, s’il nous arrive de les entendre prononcer par d’autres, fermons la bouche à ces étourdis, réfutons-les vigoureusement, mettons un frein à leur langue impudente. Voyons, si vous connaissiez un chef de bandits qui courût les grands chemins, qui dressât des embuscades aux passants, qui fit main basse sur les récoltes dans les campagnes, qui enfouît l’argent et l’or dans des cavernes, dans des cachettes souterraines, qui y enfermât même des troupeaux de bétail, qui amassât par ses déprédations des étoffes rares et des troupes nombreuses d’esclaves, voyons, dites-moi, le regarderiez-vous comme un homme heureux, à cause de tant de richesses accumulées, ou plutôt ne le proclameriez-vous pas cent fois misérable à cause des supplices qui l’attendent ? Et pourtant, il n’est pas encore pris, pas encore livré aux mains des magistrats, pas encore jeté en prison, pas encore mis en accusation, pas encore soumis à la sentence des juges ; loin de là ! il festoie, il s’enivre, il jouit largement de l’abondance de tout ce qu’il a amassé. Néanmoins, vous jugez qu’il n’est pas heureux, non point d’après ce qui se passe à présent, d’après ce que vous voyez, mais d’après l’avenir ; vous le déclarez malheureux en raison des maux qui lui sont réservés.
Appliquez ces idées aux riches et aux avares. Ce sont des larrons d’un certain genre ; eux aussi, ils guettent le long des voies battues, ils dépouillent les passants, ils enfouissent dans leurs appartements comme dans des cavernes ou des fosses souterraines la fortune d’autrui. Que leur prospérité actuelle ne vous les fasse pas regarder comme heureux ; appelez-les malheureux à cause de l’avenir, à cause du formidable jugement, des peines inévitables, des ténèbres extérieures qui vont être leur partage éternel. Les larrons ont plus d’une fois échappé aux mains de la justice humaine : nous le savons, et néanmoins nous repoussons par des vœux énergiques loin de nous, loin même de nos ennemis, leur vie et leur exécrable prospérité. Sous le gouvernement de Dieu il n’en va pas ainsi ; car nul ne se soustraira à son infaillible sentence ; tous ceux qui vivent dans la fraude et les rapines, tous sans exception attireront sur eux cette vengeance immortelle, infinie, qui a frappé déjà le riche de l’Évangile. Mes très-chers, méditons en nous-mêmes toutes ces pensées, apprenons à estimer heureux non pas ceux qui possèdent l’opulence, mais ceux qui pratiquent la vertu ; à proclamer malheureux, non pas ceux qui vivent dans la pauvreté, mais ceux qui se livrent à l’iniquité. Ne nous arrêtons pas à contempler le présent, fixons nos regards sur l’avenir ; n’examinons pas le vêtement, l’extérieur de chacun, mais scrutons la conscience ; recherchons la vertu et la joie que donnent les bonnes actions ; riches et pauvres, efforçons-nous d’imiter Lazare. Il eut à soutenir non pas un assaut seulement, ni deux, ni trois ; il les a soutenus à peu près tous, pauvreté, maladie, délaissement