Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/506

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la couronne de toute sa maison, la splendeur de toute sa famille. Mais telle est l’envie, qu’elle s’oppose même à la gloire qui doit rejaillir sur elle ; et l’envieux souffrirait plutôt mille maux que de voir son prochain jouir d’une prospérité dont il pourrait partager l’éclat. Quoi de plus misérable qu’une pareille disposition ! C’est ce qu’ont éprouvé les frères de Joseph ; lorsqu’ils l’aperçurent de loin venant leur apporter de la nourriture, ils se dirent les uns aux autres : Venez, donnons-lui la mort, et voyons ce que deviendront ses songes. (Gen. 37, 20) Eh quoi ! si vous ne respectiez pas le nom de frère, si vous aviez étouffé les sentiments de la nature, ne deviez-vous pas du moins songer aux aliments qu’il vous apportait, à la fonction qu’il remplissait envers vous ? ne deviez-vous pas penser qu’il était envoyé pour vous nourrir ? Mais considérons comment ils prophétisent malgré eux : Venez, disent-ils, donnons-lui la mort, et voyons ce que deviendront ses songes. S’ils n’eussent pas attenté à sa vie, s’ils ne lui eussent pas tendu des pièges, s’ils n’eussent pas formé le projet criminel de le perdre, ils n’auraient pas su ce que valaient ses songes. Car monter sur le trône d’Égypte sans passer par aucune disgrâce, n’était pas pour Joseph une chose aussi merveilleuse que de parvenir à toute cette splendeur malgré les empêchements et les obstacles. Si ses frères n’avaient pas cherché à le faire périr, ils ne l’auraient pas vendu pour l’Égypte ; s’ils ne l’avaient pas vendu pour l’Égypte, la femme de son maître n’eût pas conçu pour lui de la passion ; si elle n’avait pas conçu pour lui de la passion, il n’aurait pas été jeté en prison, il n’aurait pas expliqué le songe des prisonniers, il n’aurait pas partagé le trône d’Égypte, ses frères ne seraient pas venus pour acheter du blé, ils ne se seraient pas prosternés devant lui. Ainsi, c’est surtout parce qu’ils voulaient le faire mourir qu’ils ont reconnu la vérité de ses songes. Quoi donc ! ont-ils été eux-mêmes les artisans de sa prospérité et de sa grandeur ? Non, assurément. Mais tandis qu’ils méditaient de le livrer à la mort, à l’affliction, à la servitude, aux maux les plus horribles, Dieu, qui sait tirer le bien du mal, s’est servi de leur malice pour élever et glorifier celui qu’ils avaient vendu, celui qu’ils voulaient perdre.
6. Et pour que vous ne vous imaginiez pas que ces événements sont l’effet d’un concours fortuit de circonstances, la suite de quelque révolution soudaine, Dieu exécute son dessein par les mains de ceux même qui s’y opposent et le combattent. Il se sert pour l’élévation de Joseph du ministère même de ses ennemis, afin que vous appreniez que personne ne peut empêcher ce que Dieu a résolu, que personne ne peut détourner son bras puissant ; afin que, quand vous serez exposé à quelque persécution, vous n’éprouviez ni découragement ni dépit, mais que vous sachiez que la persécution n’aura qu’une issue heureuse, pourvu que vous supportiez courageusement ses assauts. Par exemple, vous voyez que c’est l’envie qui a revêtu Joseph du souverain pouvoir, qui l’a placé sur le trône, qui a ceint sa tête du diadème ; vous voyez que c’est la persécution qui l’a porté au faîte de la grandeur et de la puissance. Le persécuté a régné en Égypte, les persécuteurs ont été ses esclaves ; l’un a reçu les hommages, les autres se sont prosternés devant lui. Lors donc que vous êtes assailli de malheurs continuels, ne vous troublez pas, ne vous emportez pas, mais attendez la fin. Cette fin sera digne de la bonté d’un Dieu libéral, pourvu que vous receviez avec action de grâce les événements intermédiaires. Exposé aux plus grands périls à cause des songes dont il avait été favorisé, vendu par ses frères, sollicité par la femme de son maître, jeté en prison, Joseph ne s’est pas dit à lui-même : Hélas ! que mes songes ont été trompeurs ! je me vois chassé de ma patrie, privé de la liberté. Pour plaire à Dieu, je n’ai pas cédé aux sollicitations de la femme de mon maître, qui m’invitait au crime, je suis puni pour ma vertu et pour ma sagesse. Le Seigneur ne m’a pas défendu, ne m’a pas soutenu de son bras, mais il a permis que les liens et les disgrâces se multipliassent pour moi, se succédassent sans interruption. Au sortir de la citerne j’ai trouvé la servitude ; après la servitude, des sollicitations dangereuses ; après les sollicitations, la calomnie ; après la calomnie, la prison. Aucun de ces événements n’a troublé, n’a affaibli le courage du juste Joseph ; il est resté ferme dans son espérance, et dans la conviction intime que la parole de Dieu ne pouvait manquer d’avoir son effet. Dieu aurait pu exécuter ses grands desseins le jour même ; mais il permet qu’il s’écoule un long espace de temps, qu’il survienne un grand nombre d’obstacles, afin que vous sachiez quelle est la puissance