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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/376

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leur péché ; de même ici, ces mots : « Ils ont annoncé », ont pour but de faire voir l’excès de leur malice. En effet les péchés légers peuvent échapper à la connaissance du prochain, tandis que les plus grands et les plus énormes sont connus et manifestes pour tous, quand même il n’y aurait personne pour en faire l’objet d’une accusation, d’un blâme. Ils s’annoncent, ils se découvrent eux-mêmes. Aussi comme le Prophète veut montrer ici la grandeur des fautes, il dit : « Ils ont publié, ils n’ont point caché », comme s’il disait : c’est avec audace, avec insolence qu’ils ont péché, sans honte, sans rien déguiser, mais faisant du mal leur étude.
« Malheur à eux, parce qu’ils se sont nui à eux-mêmes, en disant : Enchaînons le juste parce qu’il nous incommode ! » C’est le comble du malheur de voir non pas des hommes qui non seulement pèchent, qui pèchent avec audace, mais encore qui chassent ceux qui pourraient les reprendre. Ceux que la frénésie emporte, bien souvent frappent le médecin : de même si des pécheurs montrent qu’ils sont incorrigibles, c’est surtout en chassant les justes. Car telle est la vertu ; sa seule vue suffit à affliger le méchant. Telle est la méchanceté ; sans même avoir été blâmée souvent, elle ne peut supporter la présence de ceux qui font le bien. Mais c’est un double crime que d’enchaîner le juste et de l’enchaîner comme incommode. Aussi le Prophète, voyant qu’ils ont porté l’iniquité à ses dernières limites, commence par les plaindre, non par les accuser ou les reprendre, et il dit : « Malheur à eux ! » et il ajoute habilement « parce qu’ils se sont nui à eux-mêmes. » Au premier abord, cette machination paraît tramée contre le juste ; mais en considérant la chose avec plus de soin, nous verrons que ce n’est pas celui qui la subit qui en souffre, mais ceux qui la font. Apprenons de là que le juste, même en étant soumis à mille maux, ne souffre aucun dommage de la part de ceux qui l’attaquent ; mais ceux-ci se transpercent eux-mêmes d’une épée, comme le faisaient les Juifs dont parle Isaïe. Ils n’ont pas nui au juste en l’enchaînant ; mais ils se sont précipités eux-mêmes dans une plus grande obscurité, puisqu’ils ont rejeté la lumière. « Aussi ils mangeront le fruit de leurs œuvres. » Car telle est la méchanceté ; elle trouve en elle-même son châtiment. Ce qu’il dit, le voici : Ils jouiront des fruits de leurs œuvres, en se plaçant dans une solitude plus grande et se préparant plus de précipices. « Malheur à l’impie ! il lui arrivera des maux proportionnés aux œuvres de ses mains (11). » Voyez-vous que nous donnons nous-mêmes la mesure et que nous posons la cause de notre châtiment ? Aussi le Prophète recommence-t-il ses plaintes, ses gémissements et ses larmes parce que les Juifs se nuisaient à eux-mêmes et compromettaient leur salut plus que n’auraient pu le faire leurs plus acharnés ennemis ; et quoi de plus malheureux que cela ? « Mon peuple, les exacteurs te dépouillent (12). » Il est d’un bon maître d’apporter dans ses paroles de la variété, de ne pas toujours irriter, de ne pas non plus montrer toujours de l’indulgence, mais d’employer tantôt l’un, tantôt l’autre moyen pour que la variété amène mieux l’utilité. C’est pour cela que le Prophète n’accuse pas toujours, mais gémit quelquefois, manière d’accuser qui n’en est que mieux sentie, tout en causant moins de douleur, et ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’une blessure plus profonde cause moins de douleur. Et non seulement il gémit, mais encore il guérit, autre manière non moins étonnante d’instruire. En quoi consiste-t-elle ? A ne pas blâmer tout le monde ensemble, mais à séparer le peuple de ses chefs et à accumuler les accusations sur la tête de ceux-ci. Ce moyen est si utile que Moïse l’a employé très-souvent. Bien que l’accusation dût retomber sur tous, cependant il ne la dirige que contre les chefs ; en effet, Moïse voyant que le peuple surtout était coupable de la prévarication et qu’Aaron ne méritait pas tant de blâme, laisse de côté ceux qui étaient les plus coupables, et s’adresse à celui qui l’était moins, laissant à la conscience de ceux-là le soin de se juger eux-mêmes d’après les reproches faits à celui-ci, et de se condamner à un châtiment plus grand ; et c’est ce qui arriva. Il n’eut plus besoin de parler au peuple ; mais il suffit de ce peu de paroles qu’il avait adressées à Aaron pour contenir, comme un seul homme, une si grande multitude, et pour l’amener de tant d’audace à une humilité et à une crainte extrêmes. C’est ce que prévoyait Moïse, et c’est pourquoi, à peine descendu de la montagne, il jette les tables de la loi et crie à Aaron : « Que t’a donc fait ce peuple pour que tu en aies fait la joie de ses ennemis ? » (Ex. 32,21)
6. Le prophète Isaïe fait de même et imite