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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/454

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que dans le langage et l’imagination.
Mais afin de rendre mes paroles plus claires, soumettons nos paroles à l’épreuve des exemples. La pauvreté est un mal aux yeux de la multitude : il n’en est rien pourtant : dans une âme sage et bien réglée, elle est au contraire un remède aux maux. La richesse passe généralement pour un bien : mais elle n’est un bien, à vrai dire, due pour celui qui en fait un bon usage. En effet, si c’était un bien, à parler absolument, que la richesse, il faudrait que ceux qui la possèdent fussent bons également : mais si l’on peut être riche sans être vertueux, si cette dernière qualité appartient uniquement à ceux qui font un bon usage de la richesse, il est clair que la richesse n’est pas un bien en soi, qu’elle n’est pour ainsi dire qu’une matière à vertu, par elle-même indifférente. Voyez plutôt. On remarque dans le corps certaines qualités dont le nom se communique à ceux en qui elles se rencontrent. Par exemple, le blanc n’est pas une substance, mais une qualité, un accident attaché à la substance : celui en qui cette qualité se trouve, nous disons qu’il est blanc. La maladie, voilà encore une qualité, un accident : l’homme qui en est affecté, nous disons qu’il est malade. Par conséquent, si la richesse était une vertu, le riche serait nécessairement vertueux et il faudrait le nommer ainsi : or, il n’en est rien : donc la richesse n’est point absolument une vertu, ni un bien cela dépend de la volonté de celui qui en fait usage. Par contre, si la pauvreté était un mal, il faudrait que tous les pauvres fussent méchants. Que si beaucoup de pauvres sont parvenus au ciel, c’est que la pauvreté n’est pas un mal.
4. Mais, dira-t-on, pourquoi donc tant de plaintes proférées contre la pauvreté ? Cela ne tient point à la pauvreté, mais à la démence, à la faiblesse d’esprit de ceux qui l’accusent. Témoin le bienheureux Job qui, vivant dans une détresse extrême et au fond d’un abîme d’indigence, loin de blasphémer ne cessait de bénir Dieu, en disant : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : comme il a plu au Seigneur, ainsi il est advenu. Soit le nom du Seigneur béni dans tous les siècles, » (Job. 1, 21) Mais, dira-t-on encore, combien d’hommes la richesse ne pousse-t-elle pas au vol et aux rapines ? La cause n’en est point la richesse, mais leur propre aveuglement : j’en atteste encore ce même Job qui, au fort de son opulence, non content de respecter le bien d’autrui, allait jusqu’à répandre le sien et à offrir un asile aux étrangers : « Ma maison, » dit-il, « était ouverte à tout étranger qui arrivait. » (Job. 31, 32) Abraham, cet homme si riche, prodiguait sa fortune à tout venant. L’opulence ne fit pas plus un spoliateur d’Abraham ou de Job que la pauvreté ne fit de Job ni de Lazare des blasphémateurs : ces deux hommes, en dépit de leur indigence extrême, brillèrent d’un tel éclat que Dieu même rendit témoignage à l’un (Dieu qui sait tous les secrets) : et que l’autre, transporté là-haut à la suite des anges, partagea la demeure du patriarche et participa aux mêmes biens que lui.
Tout cela donc est indifférent : richesse et pauvreté, santé et maladie, vie et mort, gloire et honneurs, servitude et liberté, que sais-je encore ? Car je craindrais d’allonger trop mon discours en complétant cette énumération : je me borne à vous en fournir l’occasion, et j’arrive à ce qui m’appelle. « Donne au sage une occasion, » est-il écrit, « et il deviendra plus sage. » (Pro. 9, 9) Ainsi donc il n’y a rien dans toutes ces choses que d’indifférent : et il appartient à ceux qui en disposent de les faire tourner au bien ou au mal. La preuve que ces prétendus biens parmi lesquels on compte la richesse, sont indifférents, elle nous est fournie d’un côté par Abraham, qui sut faire un bon usage de sa fortune, de l’autre par le riche de l’histoire de Lazare, lequel usa de la sienne pour sa propre perte. La richesse n’est donc, par elle-même, ni un bien ni un mal. Si elle était un bien et non une chose indifférente, le riche de l’histoire de Lazare ne serait pas en butte à un pareil supplice : si elle était un mal, Abraham, qui était riche, n’aurait pas acquis tant de gloire. Il en est de même pour la maladie.
Si la maladie était un mal, il faudrait que celui qui en est affecté fût mauvais lui-même dans cette hypothèse, t’eût été un méchant que Timothée, en proie à une maladie cruelle « Bois un peu de vin, » lui dit Paul, « à cause de ton estomac et de tes fréquentes maladies. » (1Ti. 5, 23) Que si, loin d’être un méchant par ce motif, il dut encore à sa maladie, par suite du courage avec lequel il la supporta, un surcroît de rémunération, il est évident