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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/461

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royaume des intolérables supplices, des récompenses que la pensée humaine ne saurait se représenter : promesses, conseils, menaces, moyens de tout genre, aboutissent à peine à déterminer quelques-uns d’entre vous à souffrir pour la vertu, à s’abstenir des joies du vice. Retranchez maintenant cette ancre sainte, ne verrez-vous pas aussitôt la barque entière submergée, tous les passagers précipités au fond des abîmes, ne compterez-vous pas chaque jour de nouveaux naufrages ? Car il n’est rien, non, rien que le diable ait à cœur comme de nous persuader que les péchés ne nous font encourir aucuns châtiments, et que d’autre part les bonnes œuvres ne nous rendent dignes ni d’éloges ni de couronnes : c’est là-dessus qu’il compte pour paralyser les hommes de bonne volonté et éteindre leur zèle, comme pour redoubler la négligence, accroître la mollesse des hommes sans vertu.
Il faut donc peser bien attentivement ces paroles. Des deux côtés un précipice, un abîme s’ouvre pour nous, si nous lisons étourdiment ce passage. Que devons-nous dire ? Que le Prophète a menti ? Voilà un danger : car un prophète ne ment pas, puisqu’il ne fait qu’énoncer les paroles de Dieu. Mais si le Prophète n’a pas menti, il faut donc admettre qu’il ne dépend pas de nous de faire notre devoir ? Non : il dépend de nous de faire notre devoir, et cependant le Prophète n’a pas menti : nous établirons ces deux points, si vous nous prêtez attention. Si j’ai pris soin de vous montrer ces deux abîmes ouverts à droite et à gauche, c’est afin que nous apportions tout notre sang-froid à effectuer le passage. Nous ne devons pas nous borner à examiner cette parole
« La voie de l’homme n’est pas en lui ; » nous devons embrasser toute la suite du texte, voir de qui il s’agit ; quel est celui qui parle, à qui il s’adresse, le but, le temps, les circonstances dans lesquelles il tient ce langage. En effet, ce n’est pas assez de dire qu’une chose se trouve dans les saintes Écritures, d’en détacher au hasard certaines paroles, d’en mutiler le texte inspiré, et d’en présenter quelques lambeaux sans liaison sur lesquels on s’acharne tout à son aise : trop de doctrines empoisonnées ont pénétré dans l’Église, par la faute de quelques étourdis qui, à l’instigation du diable, faisaient violence aux paroles des Écritures, y ajoutaient ou en retranchaient, de manière à obscurcir la vérité.
Il ne suffit donc pas de dire : Cette parole est dans l’Écriture ; il faut lire le texte en son entier : car si nous nous avisions de rompre le lien et l’enchaînement qui en unissent les parties, ce serait l’origine d’une foule de doctrines pernicieuses. Ne lit-on pas dans l’Écriture : « Il n’y a point de Dieu (Psa. 13,1) ? » et encore : « Il a détourné son visage, pour ne pas voir jusqu’à la fin ; » et pareillement « Dieu ne cherchera point ? » (Psa. 10,13) Est-il vrai ? il n’y a point de Dieu ? Il ne surveille point ce qui se passe sur la terre ? Et qui pourrait tenir ou tolérer chez autrui un pareil langage ? Pourtant, cela se trouve dans l’Écriture : mais apprenez comment cela s’y trouve « L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu. » Ce n’est point l’avis, le jugement de l’Écriture, mais celui du cœur de l’impie l’Écriture n’exprime point sa propre pensée, mais bien celle d’autrui. Passons à l’autre exemple : « Jusques à quand l’impie a-t-il irrité Dieu ? Car il a dit dans son cœur : il ne recherchera pas. Il a détourné son visage pour ne pas voir jusqu’à la fin. » Ici encore l’Écriture ne fait qu’exposer l’avis et l’opinion de l’impie.
Ainsi font les médecins : ils racontent aux personnes bien portantes les égarements des fous et des insensés, afin de leur inspirer plus de circonspection. Comme la piété est la santé de l’âme, comme la pire des maladies et des infirmités est de ne pas connaître Dieu, l’Écriture nous cite les paroles des impies, non pas seulement pour que nous les entendions, trais pour que nous nous gardions de les proférer. Elle vous dit quel est le langage de l’insensé, afin que vous deveniez sensé, et que vous n’appreniez point un pareil propos : elle vous dit quel est le langage de l’impie, afin que vous fuyiez l’impiété. Mais ce n’est pas assez de dire qu’il ne faut pas isoler le texte : il faut encore le citer exactement et n’y rien ajouter. Il y a dans les Écritures d’autres passages que l’on cite souvent en les dénaturant. Par exemple, on prétend qu’il est écrit : « Si tu brûles, marie-toi. » Mais nulle part vous ne trouverez la chose exprimée en ces termes. Écoutez plutôt le texte véritable : « Je dis aux célibataires et aux veuves qu’il leur est avantageux de rester ainsi comme moi-même. Que s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient. Car il vaut mieux se marier que de brûler. » (1Co. 7,8-9) Eh bien ! répondra-