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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/464

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dans le monde une doctrine de perdition, nous Ôter le libre arbitre et dire qu’il ne nous appartient pas de faire notre devoir ? Nullement ; ses gémissements mêmes contiennent la confirmation de notre liberté ; après avoir dit que la voie de l’homme n’est pas en lui, Jérémie ne s’en tient pas là, mais il ajoute : « L’homme ne marchera point et ne guidera point ses pas par lui-même. » Il veut dire par là que tout ne dépend pas de nous, que certaines choses sont en notre pouvoir, d’autres au pouvoir de Dieu. Prendre le meilleur parti, vouloir faire effort, affronter toutes les fatigues, voilà le domaine de notre libre arbitre ; mais mener à fin ces louables projets, empêcher qu’ils n’échouent, faire que nos bonnes œuvres arrivent à consommation, c’est le fait de la grâce d’en haut. Dieu a partagé la vertu entre lui-même et nous, il n’a pas voulu, qu’elle nous appartînt pleinement, de peur que nous ne nous laissions emporter à l’orgueil ; il n’a pas pris tout, pour lui non plus, de peur que nous ne tombions dans le relâchement, il a laissé quelque chose à notre activité et s’est réservé à lui-même la plus forte part. La preuve que si tout dépendait de nous, l’orgueil s’emparerait de nous et nous pousserait à notre perte, ce sont les paroles du pharisien, l’orgueil, la jactance que révèlent ses paroles, cette présomption avec laquelle il se met au-dessus du monde entier. Si Dieu n’a pas tout remis entre nos mains et s’est borné à livrer certaines choses à notre libre arbitre, c’est afin d’avoir un prétexte spécieux de nous couronner sans enfreindre la justice. Et c’est ce qu’il a fait voir dans la parabole où il dit qu’ayant trouvé des hommes vers la onzième heure, il les envoya travailler à sa vigne. Et que pouvaient faire des ouvriers arrivés si tard ? Mais ce moment suffit à Dieu pour leur donner un plein salaire.
Et pour bien vous convaincre que c’est là, en effet, ce que dit le Prophète, qu’il ne détruit pas le libre arbitre, qu’il n’a en vue, dans cet endroit, que l’issue des événements, écoutez ce qui suit. Après ces mots :« La voie de l’homme n’est pas en lui, » il se hâte d’ajouter : « Châtiez-nous, Seigneur, mais selon le jugement, et non selon la colère. » Si rien absolument ne dépendait de nous, que signifieraient ces mots : « Châtiez-nous, mais selon le jugement ? »
En effet, quelle plus grande injustice que de châtier des êtres qui ne sont pas maîtres de leurs actions, d’infliger une peine à des hommes qui ne disposent pas eux-mêmes de leur voie, de leur conduite. Par conséquent, lorsque Jérémie sollicite Dieu de ne pas rendre le châtiment trop sévère, il indique implicitement que ce châtiment, ce supplice est mérité : or c’est là établir nettement l’existence du libre arbitre. Car, si les Juifs n’étaient pas maîtres de leurs actions, ce n’est pas un adoucissement de leur peine qu’il fallait demander pour eux, mais bien la complète impunité : ou plutôt il n’était pas besoin de la demander, car Dieu n’a pas besoin d’être sollicité pour ne pas punir les innocents. Que dis-je, Dieu ? je devrais dire tout homme sensé. Ainsi donc, quand le prophète intercède pour les Juifs, il est clair qu’il croit intercéder pour des pécheurs : et il y a péché, lorsque dans notre liberté de ne pas transgresser la loi, nous la transgressons. De sorte que tout nous prouve que nos bonnes œuvres dépendent à la fois de nous-mêmes et de Dieu. Tel est encore le sens de ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. »
Et pourquoi donc courrais-je, dira-t-on, pourquoi voudrais-je, si tout ne dépend pas de moi ? Afin d’attirer sur vous par votre course et par votre volonté la faveur, la bienveillance de Dieu, de telle sorte qu’il vous aide, vous tende la main et vous conduise au but. Renoncez à cela, cessez de courir et de vouloir, Dieu ne vous tendra plus la main : et lui-même s’éloignera. Qu’est-ce qui le prouve ? Écoutez le langage qu’il tient à la ville de Jérusalem : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et vous ne l’avez pas voulu ? Voici que votre maison est laissée dans l’abandon. » (Mat. 22,37) Voyez-vous comment Dieu lui-même se retire, en voyant qu’ils ne veulent point ? Si nous avons besoin de vouloir et de courir, c’est afin de nous concilier Dieu. Le prophète veut donc dire, qu’opérer le bien ne dépend point de nous, mais de l’assistance divine ; mais que vouloir le bien, cela est de notre ressort et de celui de notre libre arbitre. Ainsi donc, dira-t-on, l’opération dépendant de l’assistance divine, quand bien même je ne l’effectuerais point, je ne mériterais aucun reproche : dès que j’ai donné tout ce qui est en moi, ma volonté, mon ferme propos, mes efforts, si Celui qui est maître de l’événement ne