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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/490

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pour ne pas remettre ce point en avant, je vous renvoie à mon dernier discours, et je vais m’efforcer de réfuter ce qu’on nous objecte aujourd’hui, en montrant que Jésus parle ainsi, non pour repousser ce soupçon des Juifs, mais pour confirmer leur opinion de tous points, et nous fournir la preuve de sa ressemblance, de son union étroite, de son entente parfaite avec son Père. Oui, je m’appuie avec tant de confiance sur cette parole, que j’y vois une démonstration de sa communauté de nature avec le Père, de sa consubstantialité. Ne soyez pas troublés par les raisonnements des hérétiques. Des épées, des lances, des javelots en peinture ne sauraient épouvanter un guerrier à l’aspect redoutable, à la mine résolue. Tout cela n’est qu’ombre et vaine image, et non pas réalité. Ainsi des raisonnements des hérétiques : pour les réfuter, attachons-nous au texte lui-même ; retournons-le sans relâche, et demandons-leur comment ils le veulent interpréter.
Car il ne suffit pas de lire. Si c’était assez, pourquoi Philippe disait-il à l’eunuque : « Comprends-tu ce que tu lis ? » (Act. 8,30) Par où l’on voit qu’il lisait, mais sans comprendre ce qui était écrit. Aussi répondit-il « De qui, je te prie, parle le prophète ? De lui-même, ou d’un autre ? » (Id. 5,34) S’il suffisait de lire, comment se fait-il que les Juifs, en lisant l’Ancien Testament, et les prédictions sur la naissance du Christ, sur les signes et les miracles qui l’accompagneraient, le lieu, le temps, la croix, l’ensevelissement, la résurrection, l’ascension, la place à la droite de son Père, la descente du Saint-Esprit, la dispersion des Apôtres, la réprobation de la synagogue, la noblesse de l’Église, ne croient pas encore aujourd’hui ? Il ne suffit donc pas de lire, si l’on ne comprend de surcroît. Qu’un homme mange sans digérer, il ne peut vivre ; de même, qu’un homme lise sans comprendre, il ne rencontrera pas ta vérité. Ne me présentez donc pas seulement le texte de l’Évangile, mais interprétez-le. Voilà ce que je leur demande, afin d’écarter leurs fausses interprétations, et de jeter ensuite les fondements de la vérité. Ainsi font les architectes, ils ne jettent pas les fondations, avant d’avoir enlevé tout ce qui est mouvant, afin de bâtir avec solidité. Imitons-les.
Répondez-moi donc : ainsi le Fils ne peut absolument rien faire de lui-même ? Car il n’a pas dit qu’il pût faire des hommes, mais non des anges ; ou bien des anges, mais non des archanges ; il a dit : rien. C’est donc un aveu d’impuissance ? puisqu’à votre sens, il ne peut rien, enchaîné qu’il est par une sorte de force invincible ; puisqu’il ne fait rien de lui-même, mais seulement ce qu’il a vu faire à son Père. Voyez quelle nouvelle doctrine, en complet désaccord avec sa substance pure, immortelle, inénarrable, inexplicable, incompréhensible ! Et pourquoi parler du Christ ? Moi chétif, moi misérable, moi ver de terre, nul ne saurait dire de moi que je ne puis rien par moi-même ; nul ne le saurait dire de vous, ni d’aucun homme. Car, s’il en était ainsi, l’enfer, l’expiation, le châtiment, vains mots ! vains mots, les couronnes, les récompenses, la félicité ! Non, nous ne serons pas punis pour nos fautes, nous ne serons pas récompensés pour nos bonnes actions, si nous ne faisons rien de nous-mêmes ! La récompense n’est pas promise à l’action elle-même, mais à l’intention. Ainsi, quand un homme fait de lui-même une bonne action, il est félicité, il est récompensé : non pas s’il la fait purement et simplement, mais avec intention, de dessein prémédité.
Et voyez la vérité de mes paroles : « Il y a des eunuques, dit saint Matthieu, qui ont été faits eunuques par les hommes ; et il y a des eunuques, qui se sont faits eunuques eux-mêmes en vue du royaume des cieux. » (Mt. 19,12) Il entend ici par eunuques, non ceux qui retranchent leurs membres, mais ceux qui se défont des pensées mauvaises et déréglées, non avec le fer, mais avec le raisonnement, et la sagesse et l’aide de Dieu. Ainsi il y a deux sortes d’eunuques, les uns mutilés par l’homme en leurs corps, les autres mutilés par la piété en leurs mauvaises pensées. Mais quoique leur mutilation diffère dans ses causes, ils n’en vivent pas moins également les uns et les autres loin du commerce de la femme. Également, ai-je dit, non par l’intention, mais par le fait matériel. Ni l’eunuque ne peut voir une femme, ni le moine, qui s’est fait eunuque lui-même. Le fait est le même, non pas la fin. Ceux que l’Évangéliste a dit mutilés par la main des hommes, il ne leur accorde aucune récompense ; c’est pour eux affaire d’incapacité physique, et non de lutte. Mais tes autres, il leur décerne la couronne céleste, en disant « en vue du royaume des cieux. » Pourtant ni l’un ni l’autre n’a commerce avec la femme,