Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/204

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un procès plus jugé, citer en justice un accusé plus condamné ! Mais par le jugement de qui est-il condamné ? par le jugement de ceux que les partisans d’une justice plus sévère voudraient voir investis du droit de la rendre ; par le jugement des chevaliers romains que le peuple demande aujourd’hui pour juges, et qui ont reçu cette mission d’une loi promulguée, non par un homme de notre origine, issu d’une famille équestre, mais par un citoyen de naissance patricienne. Les décimateurs, c’est-à-dire, les chefs et comme les sénateurs des fermiers publics, ont arrêté de supprimer les lettres. Parmi ceux d’entre eux qui étaient présents à ce conseil, je puis produire les plus distingués et les plus riches, ceux même qui sont les premiers de l’ordre équestre, et dont la grande considération a déterminé l’opinion et fourni les principales raisons de l’auteur de la loi. Ils paraîtront devant les juges, et diront ce qu’ils ont arrêté. Si je les connais bien, certes, ils ne mentiront pas. S’ils ont pu détourner des lettres adressées au corps, ils ne pourront manquer à leur propre gloire et à la sainteté du serment. Les chevaliers romains, qui vous ont condamné réellement par leur arrêté, ont donc désiré que vous ne fussiez point condamné par la sentence des juges. Que le tribunal voie si l’on doit s’en rapportera leur arrêté ou à leurs désirs.

LXXII. Mais examinez à quoi vous sert le zèle de vos amis, la bonne volonté des associés de la ferme, les mesures que vous avez prises. Je m’expliquerai librement sur cet objet ; car je ne crains plus qu’on me reproche de parler avec l’animosité d’un accusateur, plutôt qu’avec l’indépendance d’un citoyen. Si les chefs de la compagnie n’avaient pas supprimé les lettres d’après un arrêté des décimateurs, je ne pourrais faire valoir contre vous ce que j’y aurais trouvé. Mais depuis cet arrêté, et la suppression des lettres, il m’est permis à moi de dire tout ce que je pourrai, et à un juge de soupçonner tout ce qu’il voudra. Or je dis que vous avez transporté de Syracuse une grande quantité d’or, d’argent, d’ivoire, de pourpre, beaucoup d’étoffes de Malte, beaucoup de tapis, un grand nombre de vases de Délos, de Corinthe, d’énormes provisions de blé et de miel ; je dis que Canuléius, chargé de la perception, a écrit à la ferme, parce qu’on n’avait point payé pour tous ces articles les droits de sortie.

L’accusation vous paraît-elle assez grave ? Je n’en sache pas qui le soit plus. Comment se défendra Hortensius ? demandera-t-il que je produise les lettres de Canuléius ? dira-t-il qu’une accusation de cette espèce est nulle, si elle n’est prouvée par les lettres ? Mais je m’écrierai que les lettres ont été supprimées ; je dirai que l’arrêté des associés de la ferme m’a ôté les indices et les preuves par écrit des vols de Verrès. Ou bien Hortensius soutiendra qu’il n’y a pas eu d’arrêté, ou il lui faudra recevoir tous les coups que je lui porte. Niez-vous l’arrêté, Hortensius ? Cette défense me plaît, je descends dans l’arène, le combat qu’on me propose est juste, la partie est égale. Je produirai des témoins, et j’en produirai plusieurs à la fois. Ils étaient ensemble lorsqu’on a décidé la suppression des lettres ; il faut donc qu’on les interroge ensemble ; il faut qu’ils soient liés, non seulement par la religion du serment et par l’intérêt de leur réputation, mais encore