Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/205

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par la complicité qui les enchaîne les uns aux autres. S’il est prouvé que la chose s’est faite comme je le dis, pourrez-vous avancer, Hortensius, qu’il n’y avait rien dans les lettres de contraire à Verrès ? Non seulement vous ne le direz pas, mais il ne vous sera pas même permis de prétendre qu’il ne s’y trouvait pas tout ce qu’il me plaira d’y lire. Ainsi, Verrès, avec toute votre adresse, avec tout votre crédit, vous n’avez fait, comme je le disais tout à l’heure, que me permettre toutes les accusations et aux juges tous les soupçons.

LXXIII. Cependant je n’inventerai rien ; je me souviendrai que c’est moins un particulier que j’ai voulu accuser, qu’un peuple que je me suis chargé de défendre ; que les juges doivent m’entendre comme dans une cause qui m’a été déférée, et non comme dans un procès que j’ai suscité ; que je satisferai les Siciliens, si j’expose avec exactitude ce que j’ai découvert en Sicile, ce qu’ils m’ont appris eux-mêmes ; le peuple romain, si je parle sans redouter le crédit ni le pouvoir de personne ; les juges, si par mes soins et par mon zèle je leur donne le moyen de prononcer selon l’honneur et la justice ; moi-même, si je ne m’écarte en rien d’un plan de conduite que je me suis toujours proposé de suivre. Verrès, ne craignez donc pas que j’invente rien contre vous ; réjouissez-vous plutôt de ce que sachant beaucoup de vos actions, j’ai résolu de les taire, comme trop honteuses, ou peu croyables. Je n’examinerai, juges, que les faits qui regardent les associés de la ferme. Pour que vous puissiez enfin savoir la vérité, je chercherai s’il a été pris un arrêté. Quand je m’en serai convaincu, je chercherai si les lettres ont été supprimées. Ce point constaté, je vous laisserai tirer vous-mêmes les conséquences : vous verrez que, si ces chevaliers romains qui ont pris cet arrêté en faveur de Verrès étaient maintenant ses juges, ils le condamneraient sans aucun doute, puisqu’ils sauraient que des lettres leur ayant été envoyées qui déposaient de ses vols, un arrêté les a supprimées. Eh bien ! cet homme, que condamneraient ceux-là mêmes qui lui voulaient toute sorte de bien, et qui ont été si obligeamment traités par lui, quelle puissance, quelle manœuvre, juges, le pourrait faire absoudre par vous ?

Et qu’on ne s’imagine pas que les pièces supprimées et soustraites aux juges aient toutes été si bien enfermées, si bien cachées, qu’avec cette exactitude que je pense qu’on attend de moi, je n’aie pu rien éventer, rien découvrir ! Tout ce qui pouvait être trouvé par quelque moyen, par quelque expédient, je l’ai trouvé : vous allez voir Verrès convaincu par l’évidence même. Comme j’ai consacré beaucoup de temps aux causes des fermiers publics, et que je m’honore de mes liaisons avec cet ordre de citoyens, je crois que l’expérience et l’habitude m’ont assez bien instruit de leurs usages.

LXXIV. Ainsi, dès que j’eus découvert que les lettres adressées aux administrateurs de la ferme étaient supprimées, je fis attention aux années pendant lesquelles Verrès avait été préteur en Sicile. Je cherchai ensuite, ce qui était fort facile à trouver, quels avaient été, pendant ces mêmes années, les chefs de la compagnie. C’est un usage, je le savais, parmi les chefs qui tiennent les registres, que, lorsqu’ils les remettent à un nouveau chef, ils ne sont pas fâchés de garder eux-mêmes copie des lettres. J’allai donc