Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/265

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neau d’or, et vous avez convoqué une assemblée pour lui décerner cette récompense. De quel front l’avez-vous fait, lorsque vous aperceviez dans l’assemblée ceux même aux dépens desquels cet anneau d’or était donné, qui avaient quitté leurs anneaux d’or et les avaient ôtés à leurs enfants, pour que votre greffier eût de quoi soutenir le nouvel honneur que vous lui confériez ? Mais comment donc avez-vous annoncé votre présent ? est-ce par la formule antique de nos généraux ? PUISQUE VOUS VOUS ÊTES DISTINGUÉ DANS LE COMBAT, À LA GUERRE, DANS LES EXPLOITS MILITAIRES… exploits dont il n’a pas même été fait mention sous votre préture. Ou bien : PUISQUE VOUS N’AVEZ JAMAIS MANQUÉ DE ME SERVIR DANS MA CUPIDITÉ ET DANS MES DISSOLUTIONS, ET QUE VOUS AVEZ PARTAGÉ TOUTES LES INFAMIES, SOIT DE MA LIEUTENANCE, SOIT DE MA PRÉTURE, À ROME ET EN SICILE ; POUR CES MOTIFS, ET APRÈS VOUS AVOIR ENRICHI, JE VOUS GRATIFIE DE CET ANNEAU D’OR. Voilà la proclamation qui aurait convenu, puisque l’anneau d’or dont vous avez récompensé votre greffier ne décore pas un homme brave, mais un homme riche. Oui, ce même anneau qui, donné par un autre, serait une preuve de courage, donné par vous, en est seulement une de richesse.

LXXXI. J’ai parlé, Romains, du blé dimé et du blé acheté ; il me reste, et c’est la dernière partie de ce discours, à parler du blé estimé. La nature du vol, autant que l’énormité des sommes soustraites, devront d’autant plus exciter l’indignation, que, pour combattre cette accusation, on imagine, non une défense ingénieuse, mais le plus impudent aveu. Un sénatus-consulte et les lois permettaient au préteur de prendre du blé pour la subsistance de sa maison ; le sénat avait estimé ce blé à quatre sesterces par boisseau de froment et à deux sesterces par boisseau d’orge : Verrès, non content d’exiger plus de blé qu’il ne lui en était dû, força les cultivateurs à lui payer douze sesterces par boisseau de froment. Ce n’est pas de l’estimation en général qu’on lui fait un crime ; ne pensez pas, Hortensius, à nous répondre que plusieurs hommes de bien, intègres et irréprochables, ont souvent traité avec les cultivateurs et avec les villes, ont estimé ce qu’on leur devait pour l’entretien de leur maison, et ont pris de l’argent au lieu de blé. Je sais ce qui est d’usage, je sais ce qui est permis : je ne blâme rien dans la conduite de Verrès qui ait été déjà pratiqué par des citoyens vertueux. Ce que je blâme, Hortensius, c’est que le blé en Sicile ne valant que deux sesterces, comme l’annonce la lettre que Verrès vous a écrite, ou tout au plus trois sesterces, comme le prouvent toutes les dépositions et les registres des agriculteurs, Verrès ait exigé de ceux-ci douze sesterces par boisseau de blé. Voilà où est le crime ; non, le crime n’est pas d’avoir estimé le blé, ni même de l’avoir estimé douze sesterces, mais d’en avoir exigé plus qu’il ne vous était dû, et d’en avoir alors porté si haut la valeur.

LXXXII. Ce qui dans le principe a fait naître la coutume de l’estimation, ce n’est pas, Romains, l’avantage des préteurs ou des consuls, mais celui des agriculteurs et des villes. Aucun magistrat ne fut, dans l’origine, assez effronté pour demander de l’argent au lieu du blé qui lui était dû : cette coutume est certainement venue de l’agriculteur ou de la ville qui devait fournir le blé. Soit qu’ils eussent vendu leurs grains, soit qu’ils