Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voulussent les garder, ou ne les pas transporter dans le lieu que l’on prescrivait, ils ont demandé, comme une faveur et une grâce, de pouvoir donner au lieu de blé la valeur en argent. Telle est l’origine de l’estimation ; c’est l’envie d’obliger et la condescendance de nos magistrats qui en ont introduit l’usage. Sont venus depuis des magistrats cupides, mais dont la cupidité, en cherchant une voie pour s’enrichir, s’est ménagé un moyen de défense. Ils ordonnaient toujours qu’on transportât leur blé dans les lieux les plus éloignés, et où le transport était le plus difficile, afin que la difficulté du charriage fît mettre l’estimation qu’ils voudraient. Sur ce point, il est alors plus aisé de blâmer un préteur que de l’accuser : nous pouvons trouver répréhensible la cupidité de celui qui agit ainsi, mais nous ne pouvons aussi facilement établir une accusation contre lui, parce qu’il doit être permis, ce semble, à nos magistrats de recevoir leur blé où ils veulent. Voilà peut-être ce qu’ont fait beaucoup d’entre eux, non pas toutefois les plus intègres, que nous connaissons par nous-mêmes ou par la tradition.

LXXXIII. Je vous le demande à présent, Hortensius, à laquelle de ces deux sortes de magistrats voulez-vous comparer Verrès et sa conduite ? Vous le comparerez, je le pense, à ceux qui, par bonté, ont accordé aux villes, comme une grâce, de donner de l’argent au lieu de blé. Oui, sans doute, les agriculteurs ont demandé à Verrès que, ne pouvant pas vendre le boisseau de blé trois sesterces, il leur fût permis d’en donner douze pour chaque boisseau. Mais, comme vous n’oserez pas dire cette absurdité, direz-vous qu’ils ont mieux aimé donner douze sesterces à cause de la difficulté du charriage ? et de quel charriage ? de quel lieu et dans quel endroit fallait-il transporter le blé ? de Philomélium à Éphèse ? Je vois la différence qu’il y a entre le prix du blé des deux villes ; je vois combien il y a de jours de transport ; je vois, quel que soit le prix du blé à Éphèse, qu’il est avantageux aux habitants de Philomélium de donner plutôt en Phrygie l’argent qu’on leur demande, que de transporter leur blé à Éphèse, ou d’y envoyer de l’argent et des commissionnaires pour acheter du blé. Mais, dans la Sicile, qu’y a-t-il de pareil ? Enna est la ville le plus au centre des terres : obligez les habitants, ce qui est d’une extrême rigueur, à vous mesurer votre blé sur les bords de la mer, ou à Phintie, ou à Halèse, ou à Catane, lieux les plus éloignés les uns des autres, ils vous le porteront le même jour que vous l’aurez demandé. Que dis-je ? il n’est pas même besoin de transport. En effet, tout trafic de l’estimation est venu de la diversité des prix. Un magistrat peut exiger dans sa province qu’on lui fournisse son blé dans l’endroit où il est le plus cher. Aussi cette pratique. de l’estimation est fort en usage dans l’Asie, dans l’Espagne, dans les provinces où le prix du blé varie. Mais dans la Sicile, que ferait à chacun le lieu où il fournirait le blé ? Il ne serait pas obligé de l’y porter ; et dans l’endroit où il aurait ordre d’en faire le transport, il achèterait du blé au même prix qu’il l’aurait vendu dans sa ville. Ainsi donc, Hortensius, voulez-vous montrer que Verrès a suivi pour l’estimation l’exemple des autres magistrats ? montrez que, dans quelque endroit de la Sicile, sous la préture de Verrès, le blé s’est vendu douze sesterces.

LXXXIV. Voyez quel champ de défense je