Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/398

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rai plus ; non seulement vous l’avez obtenue, mais encore vous avez fait condamner votre partie adverse : en posséderez-vous davantage votre bien ? L’action d’outrage ne donne pas le droit de propriété, mais adoucit, par la rigueur d’une sentence, la peine d’avoir été lésé dans sa liberté.

XIII. Le préteur cependant, Pison, se taira-t-il sur un cas aussi grave ? ne saura-t-il comment vous rétablir dans votre demeure ! Lui qui siège des jours entiers pour empêcher qu’on ne fasse des violences, ou pour ordonner qu’on les répare quand elles sont faites ; qui rend des ordonnances au sujet des fossés, des égouts ; des moindres contestations sur les eaux et les chemins, gardera-t-il tout à coup le silence ? ne pourra-t-il pas réprimer l’injustice la plus criante ? Et si Pison a étée repoussé de sa maison et de sa demeure, s’il en a été repoussé par des hommes rassemblés et armés, ne saura-t-il comment le secourir suivant les formes et les usages ? Car enfin que dira-t-il ? ou que demanderez-vous après avoir essuyé une pareille injure ? Emploierez-vous cette formule, REPOUSSÉ PAR LA VIOLENCE ? Mais jamais on ne rendit d’ordonnance suivant cette formule inconnue, extraordinaire, inouïe. Emploierez-vous cette autre, CHASSÉ PAR LA VIOLENCE ? Mais qu’y gagnerez-vous ? on vous répondra ce que vous me répondez maintenant, que les gens armés ne vous ont qu’empêché d’entrer, et que vous n’avez pu être chassé d’un lieu où vous n’étiez pas. Je suis chassé, dites-vous, si quelqu’un de mes gens est chassé. Fort bien, si vous abandonnez les mots pour recourir au droit ; car si nous nous attachons aux mots seuls, comment êtes-vous chassé lorsque votre esclave est chassé ? Mais soit ; je dois vous regarder comme chassé, quoiqu’on ne vous ait pas touché, n’est-ce pas ? Mais si l’on n’a pas même déplacé un seul de vos gens ; si tous ont été laissés et gardés dans la maison ; si vous avez été seul repoussé de votre maison par la violence et par la terreur des armes, aurez-vous l’action dont nous avons fait usage ? en aurez-vous une autre, ou n’en aurez-vous aucune ? Vous avez trop de lumières et trop de réputation de sagesse pour dire qu’on ne doit avoir aucune action dans une injure aussi éclatante, aussi atroce. S’il en est par hasard quelqu’une qui nous ait échappé, dites quelle est cette action, je suis bien aise de l’apprendre ; si c’est celle dont nous avons fait usage, d’après votre propre jugement, nous avons gain de cause. Vous ne direz point, j’en suis sûr, que dans le même cas, sur la même ordonnance, vous deviez être rétabli, et non Cécina. En effet, qui ne voit clairement que les propriétés, les possessions, les biens n’auront plus rien d’assuré, si l’on ôte de sa force à l’ordonnance de préteur, si l’on y porte atteinte dans quelque partie, si la violence d’hommes armés est soutenue par l’autorité de juges respectables, approuvée dans un jugement où l’on convient qu’on a pris les armes, où l’on ne dispute que sur les mots ? Gagne-t-on sa cause auprès de vous, quand on dit pour sa défense : Je vous ai repoussé avec des gens armés, je ne vous ai pas chassé ; en sorte qu’un délit grave disparaisse, non par la solidité des raisons, mais par le changement d’un mot ? Déciderez-vous qu’on n’a aucune action, qu’on ne peut tenter la voie de la justice contre celui qui s’est opposé à un particulier avec des gens armés, qui, avec une multitude rassemblée, l’a empêché d’entrer dans sa maison, et même d’en approcher ?

XIV. La distinction de notre adversaire peut--