Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/399

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elle avoir lieu ? Que je sois chassé, et jeté hors de ma propriété, dès que j’y aurai mis le pied, ou qu’avec la même violence et les mêmes armes, on se présente à moi auparavant, pour que je ne puisse, non seulement entrer dans ma maison, mais même la regarder, ou essayer d’en approcher, n’est-ce donc pas la même chose ? Le premier acte de violence diffère-t-il du second, de sorte que celui-là soit forcé de me rétablir qui m’a expulsé lorsque j’étais entré, et non celui qui m’a violemment repoussé lorsque j’entrais ? Voyez, au nom des dieux ! quelle jurisprudence vous voulez établir pour nous, quelles suites elle aurait pour vous-même et pour tous les Romains. L’ordonnance du préteur, en vertu de laquelle nous avons agi, donne une seule espèce d’action. Si cette action est nulle, ou si elle n’a aucune force dans l’affaire actuelle, quelle négligence, quel défaut de raison dans nos ancêtres, d’avoir oublié d’établir une action pour un cas aussi grave, ou d’en avoir établi une qui ne puisse point renfermer dans sa teneur tous les cas particuliers ! Il est dangereux de détruire l’ordonnance prétorienne ; il est malheureux pour tout le monde qu’il y ait une circonstance où l’on ne puisse opposer aux voies de fait les voies de droit : mais combien ne serait-il pas inconvenant de taxer de folie les hommes les plus sages, de prononcer que nos ancêtres n’ont pas songé à établir d’ordonnance prétorienne, et à donner d’action pour un cas si important ?

Nous pouvons nous plaindre, nous dit-on ; mais Ébutius n’est point compris dans l’ordonnance prétorienne. Pourquoi ? C’est qu’on n’a point fait de violence à Cécina. Peut-on dire qu’il n’y ait pas eu de violence où il y a eu des armes, une multitude d’hommes munis de traits et d’épées, disposés et comme rangés en bataille ; où il y a des menaces, l’appareil d’un combat, et le danger de la mort ? Personne, dit-on, n’a été tué, personne n’a été blessé. Quoi ! lorsqu’il s’agit de contestation pour un bien, de discussion judiciaire entre particuliers, vous direz qu’il n’y a pas eu de violence, s’il n’y a pas eu de meurtre et de massacre ? Moi, je dis que de grandes armées ont été souvent repoussées et mises en déroute par la seule frayeur, et par le choc des ennemis, sans qu’il y ait eu personne de tué, ni même de blessé.

XV. En effet, magistrats, on ne doit pas seulement appeler violence celle qui atteint notre corps et qui attaque notre vie : une violence beaucoup plus forte est celle qui, nous montrant l’appareil de la mort, jette la terreur dans notre esprit, nous fait souvent quitter la place et abandonner notre poste. Aussi arrive-t-il souvent que des hommes blessés, malgré la faiblesse extrême de leur corps, conservent la force de leur âme, et tiennent toujours ferme dans le poste qu’ils ont résolu de défendre ; d’autres, au contraire, sans avoir reçu de blessure reculent ; en sorte qu’il n’est pas douteux que cette terreur générale imprimée aux esprits ne prouve mieux la violence que des blessures dont le corps serait atteint. Si donc nous disons que des armées ont été repoussées, quand la crainte et souvent le moindre