Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/60

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de ses collègues ; il l’avertit de prendre ses précautions pour que l’affaire ne s’ébruite pas ; il lui fait voir que si la vente est annulée, il perdra une fortune immense et que lui-même courra risque de la vie. Il excite celui-ci ; il trompe ceux-là : il avertit le premier de se tenir sur ses gardes ; il abuse les autres par de fausses espérances ; il se concerte avec Chrysogonus pour tromper les députés ; il trahit les députés en découvrant leurs projets à Chrysogonus : il stipule la somme qui lui sera remise, et toujours prétextant quelque occupation de Sylla, il ferme aux autres tout accès auprès du dictateur. Enfin, grâce à ses sollicitations, à ses conseils, à ses résistances, les députés ne parviennent point jusqu’à Sylla. Trompés par leur confiance, disons mieux, par sa perfidie, comme ils l’attesteront eux-mêmes, si l’accusateur veut les interroger, au lieu d’une réponse positive, ils emportèrent une fausse espérance.

Dans les transactions privées, tout mandataire qui, pour son intérêt ou son avantage personnel, avait, je ne dis pas trahi, mais négligé les intérêts de son commettant, était regardé, chez nos ancêtres, comme coupable d’une action infâme. Aussi nos lois punissent-elles l’infidélité du mandataire aussi honteusement que le vol. La raison en est sans doute que, dans les affaires que nous ne pouvons conduire nous-mêmes, la fidélité de nos amis nous remplace et supplée à notre impuissance. Violer cette fidélité, c’est détruire l’asile commun de tous les hommes ; c’est troubler, autant qu’il est en soi, l’harmonie de la société. En effet, nous ne pouvons tout faire par nous-mêmes, et les uns ont des moyens que les autres n’ont pas : les amitiés se forment afin que le bonheur général résulte de la réciprocité des services.

Pourquoi accepter un mandat, si vous devez le négliger ou le tourner à votre avantage ? Vous vous offrez à moi, et c’est pour me trahir ! c’est pour me nuire en feignant de m’obliger ! Éloignez-vous, j’aurai recours à un autre. En me promettant vos services, vous vous chargez d’un fardeau que vous pensez être en état de soutenir ; et la dette que vous contractez, l’honneur vous fait un devoir de l’acquitter. L’abus de confiance est donc un délit infamant, parce qu’il viole les deux choses les plus sacrées, l’amitié et la bonne foi ; car on ne commet guère ses intérêts qu’à un ami, et l’on ne se confie qu’à celui que l’on croit fidèle. C’est une double perversité que de violer l’amitié, et de tromper tout ensemble un homme qui n’aurait éprouvé aucun dommage, s’il n’avait mis en vous sa confiance.

XXXIX. Quoi ! dans les plus petites choses, un mandataire infidèle est flétri par les tribunaux et dans une affaire de cette importance, quand un homme chargé de rétablir la mémoire du père et la fortune du fils, déshonore l’un et dépouille l’autre, cet homme sera compté au nombre des honnêtes gens ? il lui sera permis de vivre ? Lorsqu’il s’agit d’intérêts légers et privés, la négligence d’un mandataire lui attire une peine infamante, parce qu’il est dans l’ordre que le commettant ne s’occupe plus de son affaire, dont tout le soin est remis alors au mandataire seul : quelle peine subira donc celui qui, chargé d’une mission publique, n’a pas seulement préjudicié par sa négligence à des intérêts privés, mais pro-