Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/737

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et par les Douze Tables, de proposer des lois contre des individus ; car c’est là ce qu’on nomme privilèges. Jamais personne n’en a porté. Rien de plus tyrannique, de plus pernicieux, de plus révoltant, dans une république telle que la nôtre. En effet, parmi les horreurs des proscriptions de Sylla, que trouvons-nous de plus mémorable en fait de barbarie ? C’est, je crois, la peine de mort décernée nommément, et sans jugement, contre des citoyens romains.

Donnerez-vous donc, pontifes, à un tribun du peuple, par votre sentence et votre autorité, le pouvoir de proscrire qui bon lui semblera ? car, je vous le demande, n’est-ce pas là proscrire : VEUILLEZ ORDONNER, ROMAINS, QUE M. TULLIUS SOIT BANNI DE LA RÉPUBLIQUE, ET QUE SES BIENS SOIENT À MOI ? Voilà, en effet, ce qu’il a proposé, quoique en d’autres termes. Est-ce là un plébiscite ? une loi ? une dénonciation ? Souffrirez-vous, Rome souffrira-t-elle que tous les citoyens les uns après les autres soient bannis par un article de loi ?

Pour moi, j’ai payé mon tribut, je n’ai plus à craindre les violences ni la fureur ; j’ai satisfait à l’envie, j’ai apaisé la haine des méchants, j’ai assouvi même la perfidie et la malignité des traîtres ; enfin, cette affaire, qui semblait ne m’avoir été suscitée que pour armer contre moi tous les mauvais citoyens, est désormais terminée par le jugement solennel de Rome, de l’Italie, de tous les hommes et de tous les dieux. C’est à votre propre sûreté, pontifes, c’est à celle de vos enfants et de tous les autres citoyens, que vous devez pourvoir par votre sagesse et votre autorité.

Les jugements du peuple ont été si bien réglés et modérés par nos ancêtres, qu’ils ont voulu premièrement qu’on ne joignit pas les peines pécuniaires aux peines afflictives ; secondement, qu’on n’accusât personne, sinon a jour fixé ; troisièmement, que le magistrat fit trois dénonciations à un jour d’intervalle l’une de l’autre, avant de rien proposer ni de rien prononcer sur la peine ; que la quatrième ne se fit qu’après trois marchés, et que le jour du jugement y fût fixé. Combien de moyens encore n’a-t-on pas laissés à l’accusé pour fléchir les juges et exciter leur pitié ? Le peuple, d’ailleurs, est porté à l’indulgence, et il est aisé de le toucher dans une cause capitale : enfin, au jour fixé, si les auspices, si une excuse légitime, empêchent le jugement, toute la cause est renvoyée.

XVII. Si tels sont les usages quand il y a une dénonciation, un accusateur, des témoins, n’est-ce pas une indignité qu’un citoyen qui n’a été ni ajourné, ni sommé de comparaître, ni accusé, voie son existence, ses enfants, toute sa fortune, à la merci de mercenaires et d’assassins, et que leur suffrage passe pour une loi ? Et si Clodius a pu me traiter ainsi, moi qu’un rang honorable, une bonne cause, la république elle-même, semblaient mettre à couvert de tout danger ; moi dont on ne convoitait pas la fortune, et à qui rien ne préjudiciait que le changement des circonstances et l’état critique des affaires, comment traitera t-il donc ceux qui vivent éloignés des honneurs et de cet éclat que donne la faveur populaire, mais dont les biens sont si considérables qu’une foule de gens, pauvres, somptueux, nobles, y portent envie ? Accordez à un tribun du peuple ce