Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/738

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pouvoir abusif, et jetez seulement un regard sur nos jeunes Romains, particulièrement sur ceux qui dévorent déjà des yeux la puissance tribunitienne. Oui, vous trouverez des collèges entiers de tribuns, si cette jurisprudence s’établit une fois, tout prêts à envahir, de concert, la fortune des plus riches citoyens, et qui rendront cette proie agréable au peuple en lui faisant espérer des largesses.

Mais que propose-t-il au peuple, ce savant et subtil rédacteur de nos lois ? A-t-il dit : QU’IL VOUS PLAISE D’ORDONNER, ROMAINS, QUE L’EAU ET LE FEU SOIENT INTERDITS À M. TULLIUS ? Sentence cruelle, abominable, et qu’on ne devrait pas porter même contre l’homme le plus criminel, sans l’avoir jugé. Mais non, il ne dit pas que l’eau et le feu soient interdits. Quoi donc ? QU’ILS AIENT ÉTÉ INTERDITS. Âme de bouc ! monstre de scélératesse ! voilà donc la loi que t’a dictée Sextus Clodius, loi plus impure encore que sa langue : qu’un citoyen qui n’a point été banni soit censé banni ! Sextus, dis-moi, puisque tu es devenu logicien, et que ta langue veut goûter de tout, peut-on jamais demander au peuple, le peuple peut-il jamais ordonner, ni décider par ses suffrages, que ce qui n’est point fait soit tenu pour fait ? Et c’est avec le secours d’un tel secrétaire, d’un tel conseiller, d’un tel ministre, le plus immonde, non-seulement des hommes, mais des quadrupèdes, que vous avez perdu la patrie !

Mais vous-même vous n’étiez pas assez stupide ni assez fou pour ignorer que si ce Clodius savait violer les lois, d’autres savaient les rédiger. Eh bien ! vous n’eûtes à votre disposition ni ceux-là, ni aucun homme raisonnable ; il ne vous fut pas possible d’avoir les mêmes rédacteurs que les autres pour vos lois, ni les mêmes architectes pour vos constructions, ni le même pontife pour votre adoption ; et quand vous mîtes en vente votre criminel butin, vous ne sûtes trouver personne ni pour l’acheter avec vous, ni pour se porter votre répondant, si ce n’est parmi vos gladiateurs. Enfin, pour appuyer votre fameux acte de proscription, vous ne pûtes faire voter un seul homme, qui ne fût un voleur ou un assassin.

XIX. Aussi, pendant qu’on vous voyvait marcher superbe et menaçant, au milieu de votre cohorte populaire, vos amis, qui, forts et heureux de votre seule amitié, venaient se présenter au peuple, en étaient si mal reçus, qu’ils perdaient même le suffrage de votre tribu Palatine ; et ceux qui avaient à paraître devant les tribunaux, soit comme accusateurs, soit comme accusés, ne manquaient pas d’être condamnés, quand vous sollicitiez pour eux. Ce fut alors que ce Ligur, de nouvelle date, votre fauteur et votre approbateur vénal, après avoir été flétri et déshonoré par le testament de M. Papirius, son proche parent, dit qu’il allait poursuivre les auteurs de sa mort et dénonça Sext. Propertius ; mais, coupable lui-même, il n’osa pas l’accuser, de peur d’être déclaré calomniateur.

Nous parlons donc ici d’une loi que l’on prétend proposée avec justice, tandis que quiconque y a contribué, soit de la main, soit de la voix, soit de son suffrage, soit pour sa part dans la proie, n’a trouvé partout que honte et condamnation.

Et si cette proscription est conçue de manière à se détruire elle-même ? or, les voici, les termes : PARCE QUE M. TULLIUS A PRODUIT UN FAUX SÉNATUS-CONSULTE. Si donc j’ai produit un faux sénatus-consulte, la loi subsiste ; sinon elle est