Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/173

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qu’on puisse vous l’opposer. Il n’est pas moins imparfait lorsque les termes en sont trop recherchés, qu’il est trop long, ou ne paraît pas naître du sujet lui-même (on l’appelle alors étranger, ce qui comprend aussi l’exorde d’emprunt) ; quand il ne se lie pas étroitement à la narration ; lorsque enfin il ne produit sur l’auditeur aucun des trois effets qu’on se propose. Mais c’est assez sur l’exorde ; passons maintenant à la narration.

VIII. Il y a trois genres de narrations. L’une qui expose les faits et sait les présenter sous un jour avantageux à la cause, pour assurer le succès : c’est celle qui convient dans les affaires soumises à un jugement. L’autre est celle qu’on fait entrer quelquefois dans le discours, comme moyen de preuve, d’accusation, de transition, de préparation ou d’éloge. La troisième ne s’emploie pas dans les causes civiles, et cependant il est utile de s’y exercer, afin de réussir plus aisément dans les deux autres. Elle se divise en deux genres, l’un qui regarde les choses, et l’autre, les personnes. Celle qui regarde les choses a trois parties, la fable, l’histoire et l’hypothèse. La fable présente des choses qui ne sont ni vraies ni vraisemblables, comme celles que nous ont transmises les tragiques. L’histoire reproduit un fait vrai, mais dont le souvenir remonte à un autre âge. L’hypothèse suppose une action qui aurait pu se passer, comme dans les comédies. La narration qui regarde les personnes doit unir, aux grâces du style, la variété des caractères ; tantôt grave et tantôt légère, elle doit peindre l’espérance, la crainte, le soupçon, le désir, la dissimulation, la pitié, l’inconstance des événements, les vicissitudes de la fortune, les revers inattendus, les joies subites, les dénouements favorables. Mais c’est par l’exercice que l’on acquiert ces qualités. Je vais indiquer à présent comment il convient de traiter la narration d’un fait véritable.

IX. Trois qualités sont nécessaires à la narration, la brièveté, la clarté, la vraisemblance. Puisque nous savons que ces conditions sont essentielles, apprenons à les remplir. Nous pourrons faire une narration rapide si nous commençons où il faut commencer, sans vouloir remonter trop haut ; si nous présentons les faits sommairement et non dans leurs détails ; si, au lieu de les épuiser, nous n’employons que ceux dont nous avons besoin ; si nous n’usons pas de transitions ; si nous suivons sans nous en écarter la route que nous avons prise ; et si nous exposons la conséquence des faits de manière à ce qu’on puisse savoir ceux qui se sont passés avant, quoique nous n’en ayons pas parlé. Quand je dis, par exemple « Je suis revenu de la province, » on comprend que j’y étais allé. Il vaut mieux passer tout à fait, non seulement ce qui peut nuire à la cause, mais encore ce qui y est indifférent. Gardons-nous aussi de répéter deux ou plusieurs fois la même chose, ou de reprendre le membre de phrase qui précède comme par exemple :

« Simon arriva le soir d’Athènes à Mégare ; dès qu’il fut arrivé à Mégare, il tendit des piéges à une jeune fille ; après lui avoir tendu des piéges, il lui fit violence dans le même lieu. »