Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/195

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testable, ni jugée, mais douteuse et faisant elle-même question. C’est pareillement un défaut de laisser sans explication suffisante, et comme décidée, la chose même qui fait le principal objet de la controverse ; comme dans cet exemple :

Les paroles de l’oracle sont fort claires, si tu les veux comprendre : il dit de donner les armes d’Achille au guerrier qui se montre son égal, si nous voulons nous rendre maîtres de Pergame. Je déclare que ce guerrier, c’est moi ; il est juste que j’hérite des armes de mon frère, et qu’on me les adjuge, soit comme à son parent, soit comme à l’émule de sa valeur.

Il n’est pas moins blâmable de se contredire soi-même, et de combattre, plus tard, ce qu’on aura soutenu d’abord.

Je ne puis vous dire, en y réfléchissant bien, pourquoi j’accuse cet homme ; car, s’il a de la pudeur, dois-je accuser un homme de bien ? s’il est d’un caractère qui ne rougisse de rien, à quoi bon accuser un homme qui sera insensible à mes discours ?

Il paraît se donner à lui-même une assez bonne raison de ne pas accuser ; que signifie donc ce qu’il dit ensuite :

Maintenant je vais, en remontant au commencement de ta vie, te faire connaître tout entier ?

XXVII. C’est une faute encore de blesser les affections des juges ou des auditeurs, en attaquant le parti qu’ils suivent, les hommes qui leur sont chers, ou quelque autre objet de leur préférence. C’en est une également de ne pas produire toutes les preuves que l’on a promises dans l’exposition. Il faut éviter encore, lorsque la discussion roule sur un objet, d’en traiter un qui soit sans rapport avec celui dont on dispute ; il faut bien se garder de rien ajouter ni retrancher à son plan ; de ne pas changer complètement la nature de sa cause, comme dans la scène de Pacuvius où Zéthus et Amphion discutent d’abord sur la musique, et finissent par des dissertations sur les règles de la sagesse et sur l’utilité de la vertu. Il faut prendre garde aussi que l’accusation ne porte sur un point, et la défense sur un autre ; ce qui arrive souvent au coupable par la nécessité de sa mauvaise position ; ainsi : « Un homme accusé de brigue dans la recherche d’une magistrature, répond qu’il a reçu pendant la guerre de nombreuses récompenses des généraux. » Si nous observons avec soin nos adversaires, nous surprendrons souvent cette tactique, et nous nous en servirons en la dévoilant pour montrer qu’ils n’ont rien de précis à répondre. On a tort de blâmer un art, une science, un travail, à cause des vices de ceux qui s’y livrent, comme ceux qui blâment la rhétorique à cause de la conduite condamnable de quelque orateur : on ne doit pas non plus, parce que l’existence d’un crime est constante, s’imaginer qu’on a fait connaître le coupable qui l’a commis. « Le cadavre, dites-vous, est défiguré, enflé, livide ; donc c’est le poison qui a donné la mort. » Oui, mais si vous passez tout votre temps, comme le font beaucoup d’autres, à prou-