Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/208

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cordent avec ce que l’on dit, et donnent au discours plus d’autorité. Il faut donc qu’il y ait dans la physionomie de la décence et de la force, et que le geste ne se fasse remarquer ni par trop d’élégance, ni par trop d’abandon ; on ne doit ressembler ni à des comédiens, ni à des gens du peuple. Les règles relatives à cette partie doivent correspondre à celles que nous avons établies pour la voix. Dans les morceaux de dignité, l’orateur devra se tenir le corps droit et ne faire qu’un léger mouvement de la main droite, en donnant à son visage, suivant la nature des pensées, une expression de joie, de tristesse ou de calme. Dans la démonstration, il retirera le corps un peu en arrière, en avançant la tête ; car un mouvement naturel nous porte à nous rapprocher le plus possible de l’auditeur que nous voulons instruire ou entraîner. Ce que nous venons de dire pour les morceaux de dignité, pourra convenir également pour la narration. Dans la plaisanterie, nous pourrons donner à notre visage une certaine expression de gaieté, sans multiplier les gestes. Dans la dispute, si le ton est continu, la gesticulation doit être rapide ; la physionomie mobile, les yeux perçants : si le ton est divisé, il faudra porter rapidement les bras en avant, changer de place, frapper quelque fois du pied droit, avoir le regard vif et fixe. Si l’on se sert de l’amplification pour exhorter les esprits, le geste deviendra plus lent et plus réfléchi ; et il en sera du reste comme dans la discussion continue. Si l’on veut exciter la pitié, on gémira, on se frappera la tête ; et quelquefois à un geste calme et égal, on joindra une physionomie triste et troublée. Je n’ignore pas quelle tâche difficile j’ai entreprise, en m’efforçant d’exprimer les mouvements du corps par des paroles, et de peindre, en les décrivant, les inflexions de la voix : mais, si je n’ai pas eu la présomption de croire cette matière facile à traiter, j’ai pensé du moins que, la chose fût-elle impossible, mon travail, quel qu’il fût, ne serait point inutile ; car j’ai voulu surtout vous faire savoir ce qu’il y a de nécessaire. Je laisserai le reste à l’exercice. Il faut savoir, quoi qu’il en soit, qu’une bonne déclamation a l’avantage de faire croire que l’orateur est convaincu de ce qu’il dit.

XVI. Passons maintenant à la mémoire, dépositaire des richesses de l’invention et de toutes les parties de la rhétorique. La mémoire doit-elle quelque chose à l’art, ou vient-elle toute de la nature ? c’est ce que nous aurons ailleurs une occasion plus convenable d’examiner. Nous en parlerons ici, en admettant comme prouvé que l’art et ses règles lui sont d’un grand secours ; car je pense qu’il existe un art de la mémoire ; plus tard, je le démontrerai : je ferai voir, pour le moment, en quoi il consiste. Il y a donc deux sortes de mémoires, l’une naturelle, l’autre artificielle. La première est celle qui est inhérente à notre âme et naît en même temps que la pensée ; la seconde emprunte sa force à une sorte d’induction, et à une combinaison de règles. Mais de même que dans toute autre chose, un esprit heureusement né imite souvent sans le connaître l’art qui fortifie plus tard et qui augmente les dons de la nature ; de même il arrive quelquefois que la mémoire naturelle, chez l’homme qui la possède à un degré remarquable, ressemble à la mémoire artificielle ; mais celle-ci conserve les avantages de la nature