Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/220

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que vous ne pouvez prendre place parmi la bonne compagnie, et que l’on ne peut vous voir que derrière la scène ou à d’autres places semblables. Le jeune homme se trouble, et quoi de plus naturel ? les réprimandes de son gouverneur résonnaient encore à son oreille, novice à de semblables propos. Où pouvait-il avoir vu un bouffon assez éhonté, pour croire qu’il n’a pas de considération à perdre, et qu’il peut tout faire sans se compromettre ? »

Ces exemples peuvent faire juger des genres de style. On voit dans l’un la simplicité, dans l’autre, la noblesse de l’expression, le troisième tient le milieu.

Mais il faut prendre garde en traitant chacun de ces genres, de tomber dans les défauts auxquels ils touchent de si près. Car à côté du style sublime, qui est digne d’éloge, se rencontre celui qui mérite le nom de boursouflé, et qu’il faut éviter. Car de même que la bouffissure ressemble souvent à l’embonpoint, de même les ignorants croient trouver le style sublime dans celui qui n’est enflé que de mots nouveaux ou vieillis, de métaphores péniblement étranges, ou trop ambitieuses. Par exemple :

« Celui qui vend sa patrie ne serait pas puni comme il le mérite, quand on le précipiterait dans les abîmes de Neptune. Faisons donc repentir celui qui a élevé les montagnes de la guerre, et fait disparaître les plaines de la paix. » La plupart de ceux qui sont tombés dans cet excès, et qui se sont écartés de leur point de départ, ont été trompés par une apparence de sublimité, et n’ont pu voir qu’ils ne donnaient que de l’enflure à leur discours.

XI. Ceux qui se sont proposé d’écrire dans le genre tempéré, et qui n’ont pu y parvenir, arrivent, en perdant leur route, au genre qui s’en rapproche, et qu’on appelle le style lâche et mou, parce qu’il flotte irrésolu, sans nerfs, sans liaisons, et ne peut prendre dans sa marche ni consistance ni vigueur. En voici un exemple : « Si nos alliés voulaient se mettre en guerre avec nous, ils auraient certainement dû délibérer plus d’une fois sur leurs ressources, dans le cas où ils agissaient d’eux-mêmes, et n’étaient pas secondés ici par une multitude d’hommes pervers et audacieux. Car tous ceux qui veulent faire de grandes choses, ont coutume d’y réfléchir longuement. » Un style de cette sorte ne peut fixer l’attention de l’auditeur ; il s’écoule tout entier, il s’arrondit en phrases bien faites qui ne disent rien. Ceux qui ne peuvent se servir avec avantage du style simple, si rempli de grâces, tombent dans un genre aride et pâle, qu’on pourrait appeler décharné, et dont voici un exemple : « Celui-ci vient au bain, et dit ensuite à celui-la : Votre esclave m’a offensé. À quoi l’autre répond : J’examinerai la chose. Alors le premier cherche querelle au second, et crie de plus fort en plus fort en présence d’un grand nombre, de personnes. » Voilà un style sans force et sans noblesse, et qui n’a ni cette pureté ni ce choix d’expressions qui caractérisent le style simple. Chaque genre de style, le sublime, le tempéré, le simple, s’embellit par