Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/237

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voulant échapper à un reproche qu’on aurait été bien loin de vous faire, vous avez mérité celui de faiblesse et de lâcheté ; vous avez laissé fondre sur vous et sur l’État les plus grandes calamités ; et lorsque des maux plus affreux vous menacent, toujours nonchalants, vous hésitez, vous balancez encore. Le jour, vous attendez la nuit ; la nuit, vous attendez le jour. Chaque instant vous apporte quelque nouvelle funeste ; et vous laissez parmi vous, vous pourrissez dans votre sein l’artisan de tous vos maux ; vous retenez dans Rome, tant que vous le pouvez, le fléau de la patrie. »

XXXVII. Si la Licence paraît avoir trop d’aigreur dans cette forme, il y a plusieurs corrections qui en adoucissent l’effet : on peut, aussitôt après, ajouter ces paroles : « Je cherche ici votre vertu, je redemande en vain votre sagesse, je regrette votre prudence habituelle. » Par là, les impressions trop vives du reproche sont tempérées par celles de la louange ; d’un côté, l’on prévient le mécontentement et la colère ; de l’autre, on préserve d’une faute. Ces précautions.ont pas moins de succès dans le discours que dans le commerce de l’amitié ; lorsqu’on les place à propos, elles ont le grand avantage d’empêcher l’auditeur de commettre une faute, et de montrer dans l’orateur une affection égale pour ceux qui l’écoutent et pour la vérité.

Il y a une espèce de Licence, qui exige une plus grande habileté ; c’est celle qui consiste à reprendre ceux qui nous écoutent, de la manière dont ils veulent qu’on les reprenne ; ou à paraître craindre qu’on ne reçoive mal ce que nous savons bien qu’ils écouteront avec plaisir ; et toutefois à déclarer que les intérêts de la vérité nous forcent à parler. Exemple du premier cas : « Vous êtes, Romains, d’un caractère trop simple et trop facile ; vous avez trop de confiance au premier venu, vous croyez que chacun s’efforce de tenir fidèlement les promesses qu’il vous a faites. Vous vous trompez, et vous laissez abuser depuis longtemps par de fausses espérances. C’est un excès de bonté qui vous a fait demander aux autres, ce qu’il était en votre pouvoir de faire, au lieu de ne vous en rapporter qu’à vous-mêmes. » Exemple du second cas : « Juges, cet homme fut mon ami, mais cette amitié, je dois le dire au risque de vous déplaire, c’est vous qui en avez brisé les nœuds, comment ? c’est que, jaloux de conserver votre approbation j’ai mieux aimé avoir pour ennemi que pour ami celui qui se déclarait contre vous. » Cette figure, appelée Licence, peut donc être traitée de deux manières, comme nous venons de le voir ; ou par le reproche, dont la louange adoucira l’aigreur ; ou par cette sorte de détour dont nous venons de donner des exemples, et qui dispense d’adoucir les expressions, puisque, sous le voile de la Licence, ce n’est qu’un moyen de se prêter aux dispositions de l’auditeur.

XXXVIII. La Diminution s’emploie lorsque l’orateur est forcé de parler de l’heureux naturel, des avantages, des talents qui lui sont propres ou qui distinguent ses clients. Alors, pour ne pas en faire une vaine parade, il se sert d’expressions qui atténuent l’éloge ; par exemple : « J’ai le droit de le dire, juges, je me suis