Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/264

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et, par des détours presque inaperçus, se glisse dans l’esprit de l’auditeur.

Dans une cause extraordinaire, si les esprits ne sont pas tout à fait indisposés contre vous, tâchez de vous les rendre favorables par l’exorde direct. Sont-ils violemment animés, vous êtes forcé de recourir à l’insinuation ; car demander ouvertement à un homme encore irrité son indulgence et son amitié, c’est le plus sûr moyen, non seulement d’être refusé, mais de l’irriter encore et d’enflammer sa haine. Dans une cause honteuse, pour éloigner le mépris, il faut fixer l’attention de l’auditeur. La cause est-elle douteuse, si le point à juger est incertain, commencez par le point à juger ; si elle est tout à la fois honnête et honteuse, pour vous concilier la bienveillance, ne la montrez que sous le jour le plus avantageux. Dans une cause honnête, vous pouvez omettre l’exorde, ou si vous le jugez à propos, commencer par la narration, par la citation de la loi, ou par quelque raisonnement solide pour appuyer vos paroles ; ou, si vous voulez un préambule, employez les moyens de bienveillance pour achever de gagner votre auditoire. Dans une cause obscure, que l’exorde direct rende d’abord les esprits dociles et attentifs.

XVI. Nous venons de montrer quel est le but de l’exorde ; enseignons maintenant les moyens d’en assurer le succès.

L’orateur a quatre moyens de captiver la bienveillance : il parle de lui-même, de ses adversaires, de ses juges, enfin de la cause même. S’il parle de lui, il sera modeste en rappelant sa conduite et ses services ; il repoussera les accusations, les honteux soupçons répandus sur son compte ; il retracera les malheurs qu’il a éprouvés, ceux qui le menacent encore ; enfin, il aura recours aux prières les plus humbles et aux supplications les plus pressantes. Parle-t-il de ses adversaires, il répandra sur eux l’envie, la haine et le mépris. Pour les rendre odieux, il cite des preuves de leur turpitude, de leur orgueil, de leur cruauté, de leur méchanceté. Veut-il en faire un objet d’envie, qu’il mette au jour leurs violences, leur puissance, leur fortune, leurs alliances, leurs richesses : leur arrogance en abuse insolemment ; ils comptent bien plus sur tous ces moyens que sur la justice de leur cause. Rendez-les méprisables en dévoilant leur paresse, leur indolence, leur lâcheté, leurs frivoles occupations, leur molle et voluptueuse oisiveté. Pour tirer ses moyens de bienveillance de la personne des juges, l’orateur loue, sans montrer pourtant trop de complaisance, leur courage, leur sagesse, leur bonté ; il assure qu’ils répondront à la noble estime et à l’attente du public. Enfin, la cause elle-même devient une source de bienveillance, lorsqu’en montrant par ses éloges tout ce qu’elle a d’honorable et de juste, on fait ressortir par le contraste tout ce qui déshonore celle des adversaires.

Voulez-vous rendre l’auditeur attentif, annoncez que vous allez traiter un sujet grand, neuf, incroyable, qui intéresse tous les citoyens, ou votre auditoire en particulier, ou quelques héros, ou les dieux immortels, ou la république tout entière. Promettez de développer bientôt votre cause, et d’abord faites connaître le point, ou, si par hasard il s’en trouve plusieurs, les points à juger.

Soyez clair et concis dans l’exposé de la cause,