Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/282

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merce avec un homme. » Mais si vous ne voulez pas exprimer cette conséquence, et que vous vous borniez à ce qui la suit : « Donc elle a été incestueuse, » vous concluez votre raisonnement, et vous évitez une conclusion trop évidente.

Ainsi, un raisonnement est-il long, il faut conclure par la réunion des prémisses ou par les contraires ; est-il court, exposez seulement la conséquence. Quand elle est trop évidente, ne vous y arrêtez pas et n’exprimez que ce qui la suit.

Ceux qui prétendent qu’un argument peut n’avoir qu’une seule partie, le posent ainsi, et prétendent que c’est assez pour le raisonnement : « Puisqu’elle est mère, elle a eu commerce avec un homme ; » car de cette manière il n’est besoin ni de proposition, ni d’assomption, ni de preuve, ni de conclusion. Mais l’ambiguïté du mot argumentation produit leur erreur ; car ce mot, qui se prend dans un double sens, signifie en même temps et les raisons qui rendent une chose probable ou nécessaire, et l’art de les exposer. Ainsi, lorsqu’ils disent simplement : « Puisqu’elle est mère, elle a eu commerce avec un homme, » ils donnent la raison, mais sans art ; et nous ne nous occupons ici que de l’art et de ses parties.

XLI. Cette objection est donc frivole ; et la distinction que nous venons d’établir réfute tout ce qu’on pourrait dire contre notre division, en prétendant qu’on peut supprimer la proposition ou l’assomption. Les raisons qui la rendent probable ou nécessaire, doivent faire impression sur l’auditoire, de quelque manière qu’elles soient exposées ; mais si l’on ne s’attachait qu’à cet effet, sans s’inquiéter de la manière d’exposer les raisons une fois trouvées, la différence qu’on établit entre le talent et la médiocrité serait chimérique.

Il faudra surtout varier vos tournures ; dans tous les genres, l’uniformité enfante le dégoût. Pour le prévenir, ne suivez point toujours la même marche, et répandez d’abord de la variété dans la forme de vos arguments : employez tantôt l’induction, tantôt l’épichérème. Que votre raisonnement même ne commence pas toujours par la proposition, ne soit pas toujours divisé en cinq parties ; ne suivez pas constamment le même plan dans l’amplification et les ornements de vos divisions : mais commencez tantôt par l’assomption, tantôt par une des deux preuves ou par toutes les deux. Employez tantôt une conclusion, tantôt une autre. Rien n’est plus facile ; et pour s’en convaincre, il suffit d’écrire ou de s’exercer sur quelques-uns des exemples que nous avons proposés.

Nous avons, ce me semble, assez développé les différentes parties du raisonnement. Nous n’ignorons pas, et il n’est peut-être pas inutile de le dire en cet endroit, nous n’ignorons pas que la méthode philosophique enseigne d’autres moyens aussi nombreux que subtils de développer les arguments ; mais nous les croyons étrangers à l’art oratoire. Tout ce qui nous a semblé appartenir à l’éloquence, nous ne prétendons pas l’avoir mieux traité que les autres ; mais nous y avons apporté plus de soin et d’exactitude. Maintenant, continuons notre route en suivant l’ordre que nous avons établi.