Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/286

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lui donnez , une chose douteuse que votre adversaire, dans sa conclusion, envisage sous un autre point de vue, démontrez qu’il ne tire point sa conséquence de ce que vous lui accordez, mais de ce qu’il établit. L’exemple suivant donnera une idée de ce genre de réfutation : « Si vous avez besoin d’argent, vous n’en avez pas; si vous n’avez pas d’argent, vous êtes pauvres: or, vous avez besoin d’argent, autrement vous n’auriez point embrassé le commerce ; donc vous êtes pauvres. » Il est facile de répondre : Quand vous me dites : « Si vous avez besoin d’argent, vous n’en avez pas; » j’entends : « Si vous êtes dans un dénuement absolu, vous n’avez point d’argent,» et voilà pourquoi je vous l’accorde. Quand vous ajoutez : « Or, vous avez besoin d’argent; » je comprends : « Vous voulez en avoir davantage; » et de ces deux propositions que je vous accorde, il ne faut pas conclure : « Donc vous êtes pauvres : » conclusion qui serait juste, si j’étais demeuré d’accord avec vous que « celui qui veut augmenter son argent n’a pas d’argent. »

XLVIII. Souvent on suppose que vous avez oublié ce que vous avez accordé, et l’on fait entrer dans la conclusion, comme conséquence, ce qui ne l’est nullement; par exemple : « S’il avait des droits à sa succession, il est probable qu’il est son assassin. » On prouve longuement la majeure; ensuite on ajoute : « Or il y avait des droits; donc il est son assassin; » ce qui n’est nullement la conséquence de ce qu’on a établi.

Aussi faut-il donner la plus grande attention et aux prémisses et à la conséquence.

Quant au genre du raisonnement, on prouve qu’il est défectueux, lorsqu’il renferme quelque vice en lui-même, ou qu’il est mal appliqué. Le vice est en lui-même, s’il est absolument faux, commun, vulgaire, futile, tiré de trop loin; si la définition n’est pas juste; s’il est litigieux, trop évident, contesté; enfin, s’il renferme quelque chose de honteux , d’offensant, de contraire, d’incohérent ou de contradictoire. il est faux, quand le mensonge est grossier : « Celui qui méprise l’argent ne saurait être sage; or Socrate méprisait l’argent, donc il n’était point sage; » commun, quand il ne fait pas moins pour notre adversaire que pour nous : « Peu de mots me suffisent, juges, parce que ma cause est bonne; » vulgaire, quand ce qu’on accorde peut s’appliquer également à une chose peu probable, comme : « Si sa cause n’était pas bonne, juges, il ne s’abandonnerait pas à votre sagesse; futile, quand l’excuse est déplacée; » par exemple : « Il ne l’aurait point fait, s’il y avait pensé; » ou quand on s’efforce de jeter un voile transparent sur une action dont la honte est évidente :

Pendant que chacun vous recherchait avec ardeur, je vous ai laissé sur un trône florissant; maintenant on vous abandonne; seule, malgré le péril, je dispose tout pour vous y replacer.

XLIX. L’argument est tiré de trop loin, quand on remonte plus haut qu’il n’est nécessaire : « Si