Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/287

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P. Scipion n’eût point donné sa fille à Tibérius Gracchus, si de cette union n’étaient point nés les deux Gracques, jamais on n’aurait vu ces cruelles séditions ; ainsi c’est sur Scipion qu’en doit retomber la faute. » Ces vers pèchent par le même défaut :

Plût aux dieux que jamais dans les forêts du Pélion la hache n’eût couché les sapins sur la terre !

C’est reprendre les choses de trop haut. La définition est défectueuse, quand elle peut s’appliquer à différents objets ; ainsi : « Qu’est-ce qu’un séditieux ? un citoyen dangereux et nuisible ; » ce qui ne désigne pas plutôt le séditieux que le calomniateur, l’ambitieux ou tout autre mauvais citoyen ; ou quand elle est fausse : « La sagesse est le talent de s’enrichir ; » ou quand elle n’a ni gravité ni étendue, comme : « La folie est une soif insatiable de gloire ; » car c’est définir une espèce de folie, et non pas la folie en elle-même. Quand on donne une preuve douteuse, l’argument est litigieux :

Eh ! ne le sais-tu pas ? les dieux, dont la puissance fait mouvoir à son gré les cieux et les enfers, savent assurer entre eux la paix et la concorde.

La preuve est trop évidente, quand elle porte sur un point non contesté. C’est, en accusant Oreste, démontrer qu’il a tué sa mère. L’argument, au contraire, est contesté, quand on amplifie ce qu’il faudrait prouver, comme si, par exemple, « en accusant Ulysse, on s’arrête longtemps à dire que c’est une indignité qu’un héros, qu’Ajax soit mort de la main du plus lâche des hommes. » Il est honteux, quand il est indigne du lieu où l’on parle, de celui qui parle, de la circonstance, des auditeurs, du sujet lui-même, et qu’il semble répandre sur la cause quelque chose de déshonorant. Il est offensant, quand il blesse l’auditoire, comme « si l’on citait devant des chevaliers jaloux de siéger sur un tribunal, la loi de Cépion sur les jugements. »

L. Condamnez-vous la conduite de ceux qui vous écoutent, le raisonnement est contraire. C’est ce que ferait un orateur qui, parlant en présence d’Alexandre de Macédoine, destructeur de Thèbes, dirait « que rien n’est plus affreux que de détruire une ville. » L’argument est peu d’accord avec lui-même, quand l’orateur se contredit, s’il prétend, par exemple, « que la sagesse fait seule le bonheur, » et ensuite, « qu’il n’y a pas de bonheur sans la santé ; » ou que « la tendresse l’amène auprès de son ami, démarche qu’il ne croit pas inutile à ses intérêts. » Il est opposé, s’il renferme quelque chose de nuisible à la cause : « N’allez point, en exhortant votre armée au combat, exagérer la force, le nombre et le bonheur des ennemis. »

Voici en quoi pèche un raisonnement dont quelque partie est mal appliquée. Ou vous avez avancé plus que vous ne prouvez, ou vous ne parlez que d’une partie, quand il s’agit du tout ; par exemple : « Les femmes sont avares ; car Eriphyle a vendu la vie de son époux. » Ou vous ne vous justifiez point du crime dont on vous ac-