Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/298

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VIII. Tels sont, à peu près, les moyens que doit étudier et développer l’accusateur. Le défenseur, de son cité, soutiendra d’abord que son client n’a point agi par passion ; ou, s’il est obligé d’en convenir, il tâchera d’affaiblir cet aveu, en montrant que cette passion était faible et légère, ou que d’ordinaire une telle passion ne produit point de semblables effets. C’est ici qu’il faut définir le caractère et la nature de la passion qu’on prétend avoir dirigé l’accusé, citer des exemples, des comparaisons ; s’attacher à montrer cette passion sous le point de vue le plus favorable, et dans ses effets les plus doux, pour ramener insensiblement le fait de la barbarie du crime et du trouble inséparable des passions, à des motifs plus calmes et plus tranquilles, sans blesser les sentiments et les dispositions secrètes de l’auditoire.

L’orateur affaiblira le soupçon de préméditation en montrant que l’accusé n’avait nul intérêt à commettre le délit dont on l’accuse, qu’il en avait peu, que d’autres en avaient un plus grand ou un égal, ou qu’il devait en retirer plus de mal que de bien ; en sorte qu’il n’y a aucune comparaison à établir entre l’avantage qu’on s’en promettait, et les dommages qu’on a éprouvés, ou le danger auquel on s’exposait : lieux communs qui seront traités de même, quand on voudra démontrer qu’on cherchait à éviter quelque dommage.

Si l’accusateur prétend que l’accusé, trompé dans ce qu’il a cru favorable ou contraire à ses intérêts, n’en a pas moins agi d’après cette fausse opinion, le défenseur doit prouver qu’il n’est personne assez stupide pour s’y méprendre. Accordez-vous encore ce point, n’accordez pas au moins que l’accusé ait eu le moindre doute sur ce qui l’intéressait ; affirmez qu’il a, sans balancer, jugé faux ce qui était faux, vrai ce qui était vrai : car s’il eût hésité, c’eût été, le comble de la folie que de s’exposer à un péril certain pour des espérances incertaines. L’accusateur, pour justifier les autres, se sert des lieux du défenseur : ainsi l’accusé se servira de ceux de l’accusateur pour se justifier en accusant les autres.

IX. On tire les conjectures de la personne, quand on considère attentivement tous les lieux attribués à la personne, et que nous avons développés dans le premier Livre. Le non même quelquefois peut faire naître quelques soupçons, et par le nom nous entendons aussi le surnom. En effet, il s’agit du mot propre et particulier pour désigner quelqu’un, comme si l’on disait, « Qu’un tel a été nommé Caldus, à cause de son emportement et de son impétuosité dans toutes ses actions ; » ou bien « Que tel autre s’est joué de l’inexpérience des Grecs, parce qu’il s’appelait ou Clodius, ou Cécilius, ou Mucius. » On peut former aussi quelques conjectures sur la nature ; car le sexe, la nation, les ancêtres, la famille, l’âge, le caractère, la complexion (toutes choses qui forment ce qu’on appelle la nature), peuvent donner matière à quelques soupçons. On en tire encore beaucoup du genre de vie, en examinant comment, chez qui, par qui l’accusé a été élevé et instruit ; quelles sont ses liaisons, son plan de vie, sa conduite, même dans son intérieur. La fortune peut aussi fournir des arguments : on considère alors si l’accusé est, a été, ou sera esclave ou libre, riche ou pauvre, Illustre ou Inconnu, heureux