Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/297

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emportée par une affection si violente, se soit laissée aller au crime.

VI. L’accusé a-t-il agi, selon vous, non par passion, mais avec préméditation, démontrez les dommages qu’il voulait éviter, les avantages qu’il voulait acquérir ; amplifiez, autant qu’il sera possible, pour démontrer, si vous le pouvez, jusqu’à l’évidence, que l’accusé avait une raison suffisante de commettre une faute. Est-ce l’amour de la gloire qui l’a fait agir : montrez combien il se promettait de gloire. Est-ce l’ambition, l’intérêt, l’amitié, la haine ; développez ces motifs, et faites de même pour les causes, quelles qu’elles soient, que vous prêtez à sa conduite. Surtout attachez-vous moins à ce qui est vrai en soi, qu’à ce qui a pu être regardé comme tel dans l’opinion de l’accusé. Qu’importe, en effet, que l’avantage ou le dommage soit réel, si vous pouvez prouver que l’accusé en a jugé ainsi ? Car les hommes se trompent de deux manières, ou sur la nature de la chose, ou sur l’événement. L’erreur tombe sur la nature de la chose, quand ils prennent le mal pour le bien, ou le bien pour le mal ; pour bien ou mal, ce qui est indifférent ; ou pour indifférent, ce qui est bien ou mal.

Ce point établi, si l’on dit que l’intérêt ne doit être ni plus cher, ni plus sacré que la vie d’un frère, d’un ami, ou que le devoir : n’allez point le nier à l’accusateur. Vous refuser à des vérités si saintes, ce serait vous rendre aussi coupable qu’odieux. Mais soutenez que vous n’avez pas jugé ainsi ; et alors vous pourrez puiser votre défense dans les lieux qui appartiennent à la personne, et dont nous traiterons bientôt.

VII. L’erreur tombe sur l’événement, quand on prétend qu’il ne répond pas à l’attente de l’accusé. Vous soutenez que, trompé par la ressemblance, par de faux soupçons, par de fausses apparences, il a tué celui qu’il ne voulait pas tuer ; ou bien qu’il a tué un homme dont il se croyait légataire, quoiqu’il ne le fût point ; car, ajoutez-vous, il ne faut pas juger de l’intention par l’événement, mais bien plutôt quelle intention, quelles espérances ont conduit au crime, et il s’agit moins ici du fait que du motif.

L’accusateur doit, dans ce lieu, s’attacher surtout à démontrer que personne, excepté l’accusé, n’avait intérêt à commettre ce délit, ou du moins n’en avait un si grand et si pressant ; ou si quelque autre semble avoir eu quelque intérêt à le commettre, il n’en avait ni le pouvoir, ni les moyens, ni la volonté : le pouvoir ; son ignorance, son éloignement, un obstacle insurmontable l’arrêtait ; et il faudra le prouver : les moyens ; il n’avait ni plan, ni complices, ni secours, ni rien de ce qui était nécessaire pour réussir ; et on en donnera la preuve : la volonté ; son austère vertu se refuse à de pareilles actions ; et on fera l’éloge de son intégrité. Enfin, toutes les raisons que nous fournirons à l’accusé pour sa défense, l’accusateur pourra s’en servir pour justifier les autres ; mais qu’il soit bref, qu’il réunisse et resserre tous ses moyens, et ne paraisse pas accuser l’un pour défendre les autres, mais bien les justifier pour accuser le coupable.