Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/300

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du délit dont vous l’accusez. » En effet, plus vous affaiblissez l’autorité et la réputation de sa vertu, plus vous rendez sa défense difficile. Si vous ne pouvez montrer que l’accusé soit sujet à quelqu’un de ces vices, engagez les juges à n’avoir aucune considération pour la réputation dont il a joui jusqu’alors ; car il dissimulait auparavant, et il vient de se montrer tel qu’il est. Sa vie antérieure ne doit donc pas justifier son action ; mais son action doit déposer contre sa vie antérieure. Il ne lui a manqué que le pouvoir ou l’occasion de faillir. Si ce moyen même est impraticable, dites, pour dernière ressource, qu’il n’est point étonnant que ce soit sa première faute : il faut bien qu’un homme pervers débute dans le crime. Sa vie antérieure est-elle inconnue, supprimez ce lieu, en exposant vos motifs, et appuyez tout de suite votre accusation par des raisonnements.

XI. Quant à ce qui concerne le défenseur, son premier devoir est de montrer, s’il le peut, que. jamais son client ne s’est écarté du sentier de la vertu : il y réussira, s’il prouve qu’il a rempli tous les devoirs connus et ordinaires envers ses parents, ses proches, ses amis, ses alliés ; ensuite, qu’il s’est distingué par des actions rares et éclatantes, en s’exposant, sans y être forcé, à de grandes fatigues, à de grands dangers, ou en bravant ce double obstacle, pour l’intérêt de la patrie ou de ceux auxquels il est uni par le sang ou par l’amitié ; enfin, qu’il n’a jamais failli ; que jamais les passions n’ont pu l’écarter de son devoir. Si vous pouvez montrer qu’il n’a jamais eu la volonté de faillir, quand il le pouvait impunément, vous ajoutez un nouveau poids à cette défense.

La justification sera plus évidente encore, si vous prouvez qu’il a toujours été à l’abri du soupçon sur le genre de délit dont on l’accuse ; que l’on donne l’avarice pour motif à un homme qui n’a jamais montré la moindre avidité pour les richesses. Alors plaignez-vous avec un ton d’indignation et de noblesse ; montrez combien il est adieux, combien il est indigne, de supposer qu’un homme vertueux, dont toute la vie a toujours été étrangère aux vices, ait pu se laisser aller au crime, par les mêmes motifs qui guident les hommes pervers et audacieux ; combien il est injuste, combien il est dangereux pour les honnêtes gens de n’avoir, dans de telles circonstances, aucun égard pour une vie consacrée tout entière à la vertu, en jugeant des hommes intègres sur une accusation soudaine, qu’il est si facile de supposer, plutôt que sur le témoignage irrécusable de leur vie passée, témoignage qu’on ne peut accuser d’imposture.

Sa vie passée offre-t-elle quelques actions honteuses, répondez qu’on s’est trompé dans la réputation qu’on a voulu lui faire, et rejetez-en la faute sur l’envie, la malveillance ou l’erreur ; ou bien attribuez les faiblesses qu’on lui reproche à l’imprudence, à la nécessité, à des conseils dangereux pour la jeunesse, ou à quelque passion qui n’ait rien de criminel, ou à un défaut différent de celui dont on accuse votre client, afin de le faire paraître, sinon innocent, du moins incapable d’un pareil délit. Si rien ne peut justifier la bassesse ou l’infamie de sa conduite, répondez qu’il ne s’agit point de ses mœurs et de sa conduite passée, mais uniquement du délit dont on l’accuse, et dont il faut s’occuper sans rappeler le passé.