Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/313

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libre, ne devait point le souffrir ; si évident, que le coupable même n’osait essayer de le nier ; tel d’ailleurs, que c’était pour celui qui l’a puni plus que pour tout autre un devoir de le faire ; que la justice et l’honneur exigeaient plutôt qu’il fût puni comme il l’a été, et par celui qui l’a puni, que porté devant les tribunaux ; enfin qu’il a été si public qu’il n’était pas besoin de jugement. Ici vous prouverez, par des raisonnements et des comparaisons, qu’il y a plusieurs crimes si atroces et dont l’évidence est si frappante, qu’il n’est pas nécessaire, qu’il n’est pas même utile, d’attendre que les juges aient prononcé.

L’accusateur aura un lieu commun contre l’accusé qui, ne pouvant nier le délit qu’on lui impute, ose fonder quelque espérance sur le renversement de toute justice. Il démontrera l’utilité des tribunaux ; il plaindra le sort d’un malheureux qui subit le supplice sans avoir été condamné ; il exhalera son indignation contre l’audace et la cruauté de celui qui s’est fait l’exécuteur de ce supplice. Le défendeur s’indignera aussi contre l’audacieux qu’il a puni, et tachera de nous attendrir sur son propre sort. Il ne faut point juger de la chose par le nom qu’on lui donne, mais considérer l’intention de l’accusé, les motifs, le temps de l’exécution. Quels maux n’enfanterait point l’injustice ou le crime, si celui qu’on attaque dans son honneur, dans ses parents, dans ses enfants, enfin dans tout ce qui peut ou doit être cher à tous les hommes, n’avait puni un attentat si énorme et si public !

XXIX. Le recours rejette sur quelque autre personne ou sur quelque chose l’accusation intentée contre nous. Il y en a deux espèces ; car c’est tantôt la cause et tantôt le fait qu’on rejette. L’exemple suivant fera connaître la première : « Les Rhodiens ont nommé des députés pour se rendre à Athènes ; les trésoriers ne leur ont point remis d’argent comme ils le devaient, et les députés ne sont point partis. » On les cite en justice. « Ils devaient partir, » voilà l’accusation. Ils la repoussent, en disant « qu’ils ne le devaient pas. » La question est «  Le devaient-ils ? » Ils donnent pour raison « que le trésorier ne leur a point remis l’argent qu’ils devaient recevoir du trésor public. « On les réfute, en disant : « Vous n’en deviez pas moins remplir les fonctions dont l’État vous avait chargés. » Il s’agit de décider « si des députés qui ne reçoivent pas du trésor public, les frais de voyage qui leur étaient dus, n’en sont pas moins tenus de remplir leur mission. » Examinez encore ici, comme dans les autres causes, ce que vous fournit la question de conjecture ou toute autre question. L’alternative et la récrimination vous offriront surtout des secours.

L’accusateur justifiera, s’il le peut, celui sur qui l’accusé rejette sa faute ; sinon il affirmera qu’elle est étrangère à ce dernier, et personnelle à celui qu’il accuse. D’ailleurs, chacun doit remplir ses devoirs ; et de ce que l’un est coupable, ce n’est pas une raison pour les autres de le devenir. Ensuite, celui sur qui vous rejetez votre cause