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NOTES SUR L’INVENTION.

durée. Tels sont les lieux communs que l’on peut employer pour exposer et soutenir une opinion.

LIX. La louange et le blâme se tirent des lieux attribués aux personnes, et que nous avons développés plus haut. Voulez-vous les traiter d’une manière moins générale, vous pouvez les diviser en lieux propres à l’âme, lieux propres au corps, lieux propres aux objets extérieurs. La vertu dont nous avons parlé tout à l’heure appartient à l’âme ; la santé, la dignité, la force, la légèreté, au corps ; l’illustration, les richesses, la naissance, les amis, la patrie, la puissance, et tout ce qui leur ressemble, forment les lieux extérieurs. Ici, comme dans toutes les autres parties de l’art oratoire, il faudra appliquer la règle générale des contraires, et le blâme se formera de toutes les choses opposées.

Mais pour avoir le droit de louer ou de blâmer, attachez-vous moins aux choses physiques ou extérieures qu’à la manière dont on en use ; car louer un homme de ce qu’il tient du hasard, c’est une sottise ; l’en blâmer, c’est un sot orgueil : mais tout ce qui dépend de l’âme peut être loué avec honneur, ou blâmé avec véhémence.

Maintenant que nous avons enseigné la manière de trouver des preuves pour tous les genres de causes, il ne nous reste plus rien à dire sur l’Invention, la première et la plus importante des parties de la rhétorique. Comme nous avons terminé cette partie, qui occupe déjà le Livre précédent, et que celui-ci est assez étendu, nous traiterons dans les Livres suivants de ce qui nous reste à développer.



NOTES SUR L’INVENTION.

LIVRE PREMIER.

II. Eloquentia persuadere potuissent. L’Éloquence, considérée comme une faculté commune au poète et à l’orateur, a jeté, parmi les peuples, les premiers fondements de la civilisation. Telle était l’opinion des Grecs, de tous les poètes, de tous les philosophes, de tous les historiens de l’antiquité. Voyez Cicéron, de Oratore, liv. I, cbap. 8 ; Horace, Art poét., vers 391 ; Virgile, Énéid., liv. viii ; Diodore de Sicile, liv. i, pag. 11, édit. de Wesseling, etc. ; l’Histoire critique de l’Éloquence chez les Grecs, par Belin de Ballu, tom. i ; et surtout J. J. Rousseau, chap. 9 et 10 de l’Essai sur l’origine des langues.

V. Gorgias Leontinus. Cicéron parle souvent de Gorgias, né à Léontini, ville de Sicile. Il vécut jusqu’à l’âge de cent huit ans. Il ne subsiste plus que deux fragments attribués à Gorgias.

Aristoteles. « Il ne fallait rien moins que tout le pédantisme et tout le fanatisme des siècles qui ont précédé la renaissance des lettres, pour exposer à une sorte de ridicule un nom tel que celui d’Aristote. On l’a presque rendu responsable de l’extravagance de ses enthousiastes. Mais celui qui disait en parlant de son maître : Je suis ami de Platon, mais plus encore de la vérité, n’avait pas enseigné aux hommes à préférer l’autorité à l’évidence ; et celui qui leur avait appris le premier à soumettre toutes leurs idées aux formes du raisonnement, n’aurait pas avoué pour disciples des hommes qui croyaient répondre à tout par ce seul mot : Le maître l’a dit… Mais ce nom, quoiqu’on en ail fait un si funeste abus, n’en est pas moins respectable. Aujourd’hui même que les progrès de la raison ont comme anéanti une partie de ses ouvrages, ce qui reste suffit encore pour en faire un bomme prodigieux. Ce fut certainement une des têtes les plus fortes elles plus pensantes que la nature eût organisées. Il embrassa tout ce qui est du ressort de l’esprit humain, si l’on excepte les talents de l’imagination ; encore s’il ne fut ni orateur ni poète, il dicta du moins d’excellents préceptes à l’éloquence et à la poésie. Son ouvrage le plus étonnant est sans contredit sa Logique. Il fut le créateur de celle science, qui est le fondement de toutes les autres ; et pour peu qu’on y réfléchisse, on ne peut voir qu’avec admiration ce qu’il a fallu de sagacité et de travail pour réduire tous les raisonnements possibles à un petit nombre de formes précises, à l’aide desquelles ils sont nécessairement conséquents, et hors desquelles ils ne peuvent jamais l’être… C’est à lui qu’on est redevable de cet axiome célèbre dans l’ancienne philosophie, et adopté dans la nôtre, que les idées, qui sont la représentation des objets, arrivent à notre esprit par l’organe des sens. C’est le principe fondamental de la métaphysique de Locke et de Condillac ; c’était peut-être la seule vérité essentielle qu’il