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VIE DE CICÉRON.

Catilina, après avoir soulevé quelques cantons de l’Italie, avait rejoint son armée ; il faisait porter devant lui les faisceaux consulaires, les enseignes romaines, et cette aigle d’argent qui, sous Marius, avait vu fuir les Cimbres. À ces nouvelles, un décret du sénat le déclara ennemi public, ordonna aux consuls de hâter les levées, commit à Antoine le commandement des troupes, et à Cicéron, la garde de la ville.

Dans la multitude de devoirs que lui imposait cette surveillance, et qui lui permettaient à peine quelques instants de sommeil, le consul trouva encore le loisir de sauver un ami, et de composer un de ses meilleurs plaidoyers. Caton voulant, comme il le disait, éprouver sur un candidat consulaire la force de la dernière loi de Cicéron contre la brigue, en avait aussitôt accusé Muréna ; Cicéron le défendit, et sut assaisonner sa plaidoirie de railleries si fines contre le stoïcisme outré de Caton, que l’assemblée l’applaudit à plusieurs reprises par des rires qui firent dire à Caton, un peu piqué, Nous avons un consul facétieux ! Muréna fut absous. Peu de temps auparavant, C. Pison, consul hors de charge, et accusé du même crime, s’était vu aussi acquitter, grâce au talent de Cicéron, défenseur trop officieux peut-être, comme Caton l’en raillait à son tour, de ceux qu’on accusait au nom de sa loi même.

Vers le même temps, son éloquence et son autorité arrachèrent au sénat ses préventions contre Pompée, et au peuple, sa haine contre Lucullus. Le premier venait de terminer la guerre contre les pirates et contre le roi de Pont. Cicéron, par un sénatus-consulte, fit décréter, au nom du vainqueur, dix jours de supplications publiques ; ce qui était le double de l’usage. Il y avait trois ans que Lucullus sollicitait le triomphe pour ses victoires sur Mithridate, et trois ans que, repoussé dans ses prétentions par les tribuns, il attendait, suivant la loi, dans un faubourg de Rome, le jour où il lui serait permis d’y rentrer en triomphateur. Cicéron lui fit donner cette tardive satisfaction ; et servit, comme il le dit, à introduire dans la ville le char triomphal de cet illustre citoyen.

Cependant, les conjurés restés à Rome, se remuaient, intriguaient, recrutaient des partisans. Informé que Lentulus cherchait à séduire les députés des Allobroges, Cicéron les engage à feindre, pour obtenir la preuve complète du crime. Ils se font en effet donner des lettres pour Catilina, qu’ils doivent aller trouver, pour les Allobroges, dont ils promettent le secours. Ils concertent avec Cicéron le moment de leur départ ; ils sont arrêtés au pont Milvius, et conduits chez le consul. Celui-ci mande aussitôt chez lui Lentulus et ses complices, lesquels s’y rendent sans rien soupçonner, et il les emmène tous sous bonne escorte au sénat. Là, après les révélations des députés, après les aveux d’un certain Vulturcius, qui devait leur servir de guide auprès de Catilina, Cicéron fait ouvrir les lettres, encore scellées, et dont les auteurs n’osent désavouer ni le cachet ni l’écriture. Il est rendu un décret qui assigne à chacun d’eux pour prison les maisons d’un certain nombre de sénateurs, et qui ordonne, comme après une grande victoire, des supplications dans tous les temples, des actions de grâces solennelles à tous les dieux, au nom de Cicéron, le premier Romain qui fut honoré de cette distinction pour des fonctions civiles.

Il était tard quand il sortit du sénat. Il monta à la tribune aux harangues, et apprit au peuple impatient ce qui venait de se passer. (iiie Catil.) Déjà, pendant la séance du sénat, Tiron, son affranchi, à qui il avait lui-même enseigné l’art, dont on lui attribue l’invention, d’écrire par signes abrégés, avait recueilli, avec d’autres scribes, tout ce qui s’y était dit ; on en avait tiré sur-le-champ des copies que le consul fit distribuer dans Rome, et expédier dans toutes les parties de l’empire.

Il restait à statuer sur le sort des coupables. Cicéron passa cette nuit-là dans la plus grande perplexité. Les laisser vivre, c’était encourager leurs partisans, qui s’efforçaient déjà de soulever le peuple pour les délivrer. Faire périr, malgré les lois, des citoyens romains, c’était prendre une responsabilité terrible. Il l’accepta.

Le sénat convoqué, Silanus, opinant le premier, conclut à la mort ; César le réfute ; son discours artificieux entraîne les esprits, et Silanus se rétracte. On reculait devant un acte de rigueur ; les plus courageux, les amis de Cicéron, son frère lui-même, inclinaient à l’indulgence, dans la crainte de l’exposer à de sanglantes représailles. Tous les yeux étaient tournés sur lui. Inaccessible à ces faiblesses, il se lève, et, par une harangue énergique, ramène les esprits au parti de la rigueur. (ive Catil.)

C’était le soir du 5 décembre, nones fameuses que Cicéron rappelle trop souvent comme le plus grand jour de sa vie. Il va, suivi du sénat, chez Lentulus Spinther, qui avait Lentulus sous sa garde ; il le lui demande au nom de la république ; il le conduit lui-même, par la rue Sacrée et le forum, à travers les rangs pressés de la foule, jusqu’à la prison commune, et le livre à l’exécuteur. Céthégus et les autres conjurés, tour à tour amenés par lui, sont de même exécutés dans la prison. Des groupes menaçants de leurs complices, qui ignoraient leur sort, attendaient la nuit pour les délivrer. Ils ont vécu, leur dit-il en se tournant vers eux ; et ce mot lugubre les disperse à l’instant.

Cicéron fut reconduit chez lui, comme en triomphe, par tout le corps du sénat, par tous les chevaliers, par une foule immense qui remplissait l’air d’acclamations. On tenait des flambeaux à toutes les portes, pour éclairer sa marche ; les femmes