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VIE DE CICÉRON.

étaient aux fenêtres pour le voir passer, et le montraient à leurs enfants. Il y avait des curieux jusque sur le toit illuminé des maisons.

La nouvelle de cette exécution jeta le découragement dans l’armée des rebelles. Pressé entre Métellus et le consul Antoine, Catilina, après avoir longtemps refusé le combat, l’accepta enfin contre Antoine, son ancien ami, qui le poursuivait mollement, et qui lui eut peut-être ménagé une retraite. Mais Cicéron avait entouré son collègue de lieutenants dévoués à la cause de Rome. Le jour de l’action, Antoine ayant été saisi d’un accès de goutte, vrai ou feint, l’un d’eux prit le commandement. On sait comment se termina cette lutte, si admirablement racontée par Salluste.

Avec cette grande affaire finit le consulat de Cicéron. Il lui restait à le résigner, suivant l’usage, devant le peuple assemblé, dans un discours où serait retracée sa conduite, et suivi du serment qu’il avait observé les lois. On s’attendait qu’après une telle année, et de la part d’un tel orateur, la harangue répondrait à la grandeur des circonstances. Mais César, alors préteur, et Métellus, un des nouveaux tribuns, s’opposèrent violemment à ce qu’il la prononçât. « Celui qui avait fait mettre à mort des citoyens romains sans les entendre ne devait pas, disaient-ils, avoir le droit de parler pour lui-même. » Ils firent placer leurs siéges sur la tribune aux harangues, pour l’empêcher d’y monter. Puis, croyant lui tendre un piége, et le placer dans l’alternative d’un parjure ou d’un aveu embarrassant, ils lui permirent de venir à la tribune, à la seule condition d’y prononcer la formule ordinaire, et d’en descendre aussitôt. Mais cette intrigue, en nous privant d’un beau discours, nous a valu un plus beau serment. Cicéron parut à la tribune ; et quand tout le monde eut fait silence : Je jure, dit-il en élevant sa voix noble et sonore, je jure que j’ai sauvé la république. Transportée par ce serment d’une forme si nouvelle, l’assemblée s’écria qu’il avait juré la vérité, et l’accompagna jusque chez lui avec de bruyantes acclamations.

Peu de temps après, le consulaire Gellius demanda pour Cicéron la couronne civique ; et la voix du peuple confirma le nom que lui avaient décerné Catulus et Caton, l’un dans le sénat, l’autre dans les comices, le nom de Père de la patrie ; titre si glorieux, que la flatterie l’attacha, dans la suite, à la dignité impériale, mais que Rome libre, suivant l’expression de Juvénal, n’a donné qu’au seul Cicéron.

Toutes les villes de l’Italie suivirent l’exemple de Rome ; on lui rendit partout des honneurs extraordinaires ; et Capoue, se plaçant sous son patronage, lui fit élever une statue dorée.

De tels hommages contrastaient singulièrement avec les froids éloges donnés à son collègue Antoine, dont la conduite molle avait été si suspecte. Le sénat se borna à le féliciter d’avoir retiré sa confiance à ses anciens amis, c’est-à-dire, le loua de n’avoir pas à l’accuser.

Cicéron, à qui ses talents et ses services devaient assurer un immense crédit dans Rome, s’attira bientôt une foule d’ennemis, à force de rappeler à ses concitoyens tout ce qu’il avait fait pour eux. Dans le forum, dans le sénat, devant les tribunaux, il fallait, dit Plutarque, lui entendre répéter tous les jours les noms de Catilina et de Lentulus, et repasser avec lui par tous les événements de son consulat, loué non sans cause mais sans fin, comme s’exprime Sénèque. Son penchant à la raillerie ne lui fut pas moins funeste. Ni les magistrats, ni les citoyens les plus considérés, ni ses amis, n’étaient à l’abri de ses bons mots. Le nombre en fut si grand, quoique certainement exagéré, qu’il en fut fait des recueils par plusieurs de ses contemporains, parmi lesquels on cite J. César. Aussi, quand une faction puissante se déchaîna contre lui, aux envieux que lui avait fait son mérite, aux ennemis que lui avaient faits ses épigrammes, il n’eut à opposer que sa gloire contestée et un petit nombre d’amis équivoques. Celui pour lequel il avait le plus fait, Pompée, prévenu contre lui par César, ne lui prêta d’abord qu’un faible appui, et enfin le lui refusa tout à fait.

L’attaque recommença par le tribun Métellus ; mais bientôt Clodius surpassa, dans ses fureurs, tous les ennemis de l’illustre consulaire. Voici l’origine de cette persécution. Clodius, jeune patricien, populaire, insolent, audacieux, avait profané les mystères de la Bonne Déesse, en s’introduisant, une nuit, dans la maison de César, où ces mystères se célébraient, auprès de Pompéia, dont il était l’amant. C’était un sacrilége. Traîné en justice, toute sa défense se réduisit à prétendre qu’il était alors loin de Rome, et plusieurs témoins l’affirmèrent avec serment. César, qui, au premier bruit de ce scandale, avait répudié sa femme, mais qui voulait ménager l’accusé, déclara ne rien savoir. S’il avait répudié Pompéia, « c’est, » disait-il, « parce que la femme de César ne devait pas même être soupçonnée. » Cicéron, appelé à son tour en témoignage, affirma que, le jour du crime, Clodius, loin d’être absent, était venu le voir chez lui. Les agents du coupable essayèrent de l’effrayer par des menaces, et de lui arracher une rétractation ; mais les sénateurs qui assistaient à ce procès, se levèrent et le reçurent dans leurs rangs, où cette poignée de furieux n’osa pas venir le chercher. Clodius avait corrompu ses juges par des séductions dont quelques-unes sont à peine croyables à force d’être infâmes. Il fut acquitté. Dès lors il n’eut plus de repos qu’il ne se fût vengé de Cicéron avec éclat ; et