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VIE DE CICÉRON.

la bataille d’Issus, avait campé Alexandre, « un plus grand capitaine que vous et moi, » écrivait-il à Atticus. De là, il fit marcher son armée contre un peuple plus indomptable encore, et qui n’avait jamais été soumis, même par les rois du pays. La capitale, nommée Pindénissum, était située sur le sommet d’une montagne, et pourvue de tout ce qui était nécessaire à une longue défense. Tous les jours, on y attendait les Parthes. Cicéron en forma le siége, et au bout de six semaines, la força de capituler. Les habitants furent vendus comme esclaves, et le reste du butin fut abandonné aux soldats. Après tant d’exploits, Cicéron se retira prudemment, « de crainte des surprises, et, ajoutait-il, pour ne pas trop tenter la fortune. » La terreur qu’inspira son nom porta les Tiburaniens, autre nation voisine, à se rendre volontairement à lui. Il fut salué par ses troupes victorieuses du titre pompeux d'imperator, qui le flatta singulièrement, et dont il affecta de se parer même en écrivant à César. On le portait d’ordinaire jusqu’au triomphe, que décernait le sénat, et Cicéron le garda toujours, le jour de son triomphe n’étant jamais venu.

Cette nouvelle gloire lui fit aussitôt des jaloux. Bibulus, qui commandait en Syrie, s’était tenu jusque-là renfermé dans Antioche. À la nouvelle de ce succès, voulant égaler Cicéron, et mériter le même titre, il alla chercher des ennemis. Il se fit battre, perdit sa première cohorte et ses meilleurs lieutenants.

Cicéron se hâta d’informer le sénat de ses victoires par des dépêches entourées, selon l’usage, de feuilles de laurier. Il espérait des actions de grâces, préliminaire accoutumé du triomphe. Il écrivait à Caton pour lui demander son suffrage. Caton, qui marquait toujours de l’éloignement pour ces décrets, et se plaignait sans cesse de la facilité avec laquelle on les obtenait, se déclara, dans le sénat, contre sa demande, et le lui écrivit. Les supplications n’en furent pas moins votées, et Caton, entraîné par l’unanimité des suffrages, aida ensuite à dresser le décret, et voulut que son nom y fût inséré.

César écrivit des Gaules à Cicéron (Cæsar imperator Ciceroni imperatori) moins pour le féliciter sur le succès de ses armes, que pour l’indisposer contre la dureté qu’avait montrée Caton, et brouiller les deux amis. Le vainqueur des Parthes dissimula son mécontentement.

Il était parti de Rome avec l’ordre de remettre la Cappadoce sous l’obéissance de son roi Ariobarzane, ami particulier de Caton et de Pompée ; et il s’acquitta de cette commission, sans avoir même eu besoin de prendre les armes, avec autant de désintéressement que de sagesse. Ce roi était si dénué de tout, que sa pauvreté passa depuis en proverbe. Il devait de fortes sommes à Pompée, à Brutus, à d’autres Romains ; et Cicéron, qu’ils avaient chargé de les recouvrer, n’en put rien tirer. Cependant ce monarque ruiné faisait toujours un présent considérable aux gouverneurs de Cilicie. Cicéron le refusa, et lui conseilla de l’employer à payer ses dettes ; Ariobarzane reçut le conseil, et garda l’argent.

Cicéron consacra le reste de son année aux affaires civiles de la province, et appliqua les principes admirables qu’il avait autrefois tracés à son frère, et développés dans son traité de la République. C’était un ancien usage parmi les proconsuls, de marcher avec toute leur suite aux frais des pays qu’ils traversaient. Cicéron ne voulut être à charge ni aux villes ni aux particuliers. Il n’accepta même pas ce qui était dû à son rang d’après la loi Julia, et le plus souvent il passa exprès la nuit dans sa tente. Il fit de sa conduite une règle pour son cortége. Un de ses lieutenants avait exigé de son hôte ce que la loi lui assignait. Cicéron lui en fit de vifs reproches, comme d’une tache à son gouvernement. Il laissa les habitants juger entre eux leurs différends suivant leurs lois ; il leur prêtait seulement le secours bienveillant de ses lumières. « On n’a pas besoin, écrivait-il à un de ses amis, de s’adresser à quelqu’un de ma suite pour avoir des audiences. Je me promène chez moi les portes ouvertes, comme je faisais à Rome quand j’aspirais aux dignités. » Il soulagea les villes des dettes énormes où les avait engagées la cupidité de ses prédécesseurs. Leurs magistrats s’étaient, pendant dix années, engraissés à leurs dépens ; il les interrogea, obtint l’aveu de leurs concussions, et les obligea de restituer tous ces gains illicites. Il avait trouvé plusieurs domaines publics usurpés par des particuliers ; il les rendit aux villes. Quelques-unes payaient de fortes contributions aux proconsuls, pour se faire exempter de recevoir des troupes en quartier d’hiver ; Cicéron leur remit cette taxe, qui faisait seule un revenu considérable. D’autres gratifications plus justes, auxquelles il avait droit, furent appliquées par ses ordres au soulagement des villes ou des cantons opprimés. Il diminua les impôts, fit baisser le prix des vivres, et, dans un moment de disette, ouvrit sa table aux principaux habitants de la province. Ces libéralités lui attiraient les applaudissements et l’amour des peuples de l’Asie ; mais loin d’en faire profiter même sa vanité, il défendit qu’on fît pour lui aucune dépense en statues, en monuments, en chevaux de bronze, suivant l’usage des Asiatiques, prodigues de ces distinctions même envers les gouverneurs les plus durs. Enfin, et par un dernier trait de désintéressement sans exemple avant lui, comme il avait économisé un million de sesterces sur la somme qui lui était allouée pour sa dépense annuelle, il les remit au trésor, au grand déplaisir des plus avides de sa