Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/528

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des Phéaciens et dans ceux des amants de Pénélope. Et chez nous, où sont ces anciens vers

Que chantaient les Faunes et les devins, dans ces temps où personne n’avait atteint les sommets habités par les Muses, où l’on ne recherchait point encore les grâces de la diction ; avant ce poète…,

dit Ennius en parlant de lui-même ; et la vanité ne lui fait rien dire de trop, car il en est vraiment ainsi. Nous avons une Odyssée latine de Livius Andronicus qui ressemble à un ouvrage de Dédale, et les pièces dramatiques du même auteur ne peuvent guère être lues qu’une fois. Or, Livius est le premier qui ait donné à Rome des pièces de théâtre. Ce fut sous le consulat de C. Claudius, fils de Claudius Cécus, l’année d’avant la naissance d’Ennius, cinq cent quatorze ans après la fondation de Rome, suivant le calcul d’Atticus auquel je m’en rapporte ; car les écrivains diffèrent sur cette date. Attius raconte que Livius fut pris à Tarente par Fabius Maximus, consul pour la cinquième fois, trente ans après l’époque où Atticus, d’accord avec les anciens mémoires, dit qu’il a fait représenter une pièce. Attius ajoute que ce poète donna sa première pièce onze ans après, sous le consulat de C. Cornélius et de Q. Minucius, aux jeux que Salinator avait voués, pendant la bataille de Sienne, à la déesse de la Jeunesse : erreur manifeste, puisque alors Ennius avait quarante ans, et que si l’on supposait le même âge à Livius, l’auteur de la première pièce de théâtre serait plus jeune que Plaute et Névius, qui en avaient donné plusieurs avant ces consuls.

XIX. Si cette discussion, mon cher Brutus, vous parait étrangère à l’objet de cet entretien, rejetez-en la faute sur Atticus, qui m’a enflammé d’émulation pour les recherches qui tendent à fixer l’époque des hommes illustres, et les âges du génie. — Certes, répondit Brutus, cette espèce de chronologie m’intéresse, et une telle exactitude me paraît concourir au but que vous vous proposez, de distinguer, suivant l’ordre des temps, les divers genres d’orateurs. — Vous avez raison, Brutus, lui dis-je à mon tour ; et que n’avons-nous encore ces vers qui, suivant les Origines de Caton, étaient, bien des siècles avant lui, chantés dans les festins par chacun des convives, en l’honneur des grands hommes ! Cependant la Guerre Punique d’un auteur qu’Ennius range parmi les devins et les Faunes, plaît comme un ouvrage de Myron. Qu’Ennius soit plus parfait, on ne peut en douter. Toutefois, s’il avait pour ce poète le mépris qu’il affecte, pourquoi, puisqu’il parle de toutes les guerres, omet-il cette première guerre Punique, si vive et si opiniâtre ? Lui-même nous l’apprend : « D’autres, dit-il, ont traité ce sujet en vers. » Oui sans doute, Ennius, et d’une manière brillante, quoique avec une diction moins polie que la vôtre. Vous-même devez être de cet avis, puisque vous avez tant emprunté, si vous en convenez ; dérobé à Névius ; emprunté, si vous n’en convenez pas.

Du temps de Caton, et plus âgés que lui, vécurent C. Flaminius, C. Varron, Q. Maximus, Q. Métellus, P. Lentulus, enfin P. Crassus, qui fut consul avec le premier Africain. Ce grand homme lui-même sut manier la parole. Son fils, père adoptif de Scipion Émilien, eût été un ora-