Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/527

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sont remplis d’idées et d’expressions brillantes. On peut en extraire ce qui est digne de remarque et d’éloges, on y trouvera toutes les beautés oratoires. Et ses Origines, ne renferment-elles pas toutes les fleurs et tous les ornements de l’élocution ? Il manque de partisans, comme en manquait, il y a déjà plusieurs siècles, Philiste de Syracuse, et Thucydide lui-même. Le style élevé et majestueux de Théopompe a éclipsé les pensées concises de ces deux historiens, que trop de brièveté et de finesse rend quelquefois un peu obscurs ; Démosthène de son côté a fait tort à Lysias. De même l’éloquence ambitieuse de nos modernes dérobe la vue des beautés de Caton. Mais il y a de plus, chez les nôtres, une véritable ignorance : car ces hommes qui, dans les Grecs, aiment ce goût antique et cette simplicité qu’ils appellent de l’atticisme, ne savent pas même les voir dans Caton, Ils veulent être des Hypérides et des Lysias, à la bonne heure : mais pourquoi ne veulent-ils pas être des Catons ? Ils aiment le style attique ; ils ont raison : mais plût à Dieu qu’ils en imitassent, non pas seulement le squelette, mais l’embonpoint et le coloris ! Sachons-leur gré toutefois de leur intention ; mais d’où vient cette passion pour Lysias et Hypéride, tandis qu’on ne connaît aucunement Caton ? Son style est trop vieux ; on trouve chez lui des mots surannés : c’est qu’alors on parlait ainsi. Changez ce qu’il ne pouvait changer dans ce temps-là ; ajoutez du nombre à ses périodes ; mettez entre leurs parties plus de liaison et de symétrie ; joignez et assemblez avec plus d’art les mots eux-mêmes ce que les anciens Grecs ne savaient pas faire plus que nous) ; alors vous ne mettrez personne au-dessus de Caton. Les Grecs croient embellir leurs discours en faisant usage de ces changements de mots qu’on appelle tropes, et de ces formes de style et de pensées qu’on appelle figures. Il est à peine croyable combien Caton étincelle souvent de ces deux sortes de beautés.

XVIII. Je n’ignore pas que son style n’est point encore assez châtié, et qu’il faut chercher quelque chose de plus parfait : il est aussi bien ancien relativement à nous ; et si ancien, qu’il n’existe aucun discours d’une époque antérieure qui mérite d’être lu ; mais l’art de la parole est de tous les arts celui où l’antiquité obtient le moins de respects. Jetons les yeux sur des ouvrages d’un ordre inférieur. Est-il un connaisseur qui ne sente que les statues de Canaque ont une raideur qui nuit au naturel ? Celles de Calamis, avec de la dureté, ont cependant quelque chose de plus moelleux ; celles de Myron ne rendent pas encore exactement la nature ; cependant on n’hésite pas à les appeler belles ; celles de Polyclète sont plus belles encore : ce sont, à mon avis, de véritables chefs-d’œuvre. Il en est de même de la peinture. On loue dans Zeuxis, Polygnote, Timanthe et les artistes qui n’ont employé que quatre couleurs, le dessin et la pureté des formes. Mais dans Aétion, Nicomaque, Protogène et Apelles, tout est parfait. Telle est sans doute la destinée de tous les arts : rien n’a été perfectionné en même temps qu’inventé. On ne peut pas douter qu’il n’y ait eu des poètes avant Homère. Lui-même fait chanter des vers dans les festins