Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/538

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de lui, répondit Brutus, et il est presque le seul des anciens que je lise. — Lisez-le, repris-je, mon cher Brutus, lisez-le sans cesse. Sa mort prématurée fut une perte pour la république romaine et pour les lettres latines. Pourquoi fallait-il qu’il aimât son frère plus que sa patrie ? qu’il lui eût été facile avec un tel génie, s’il eût vécu plus longtemps, d’égaler la gloire de son père ou celle de son aïeul ! Peut-être qu’en éloquence il n’eût jamais trouvé personne qui l’égalât lui-même. Ses expressions sont nobles ; ses pensées, solides ; l’ensemble de sa composition, imposant. Il n’a pu mettre la dernière main à ses ouvrages. Plusieurs sont d’admirables ébauches, qui seraient devenues des chefs-d’œuvre. Oui, Brutus, si un orateur mérite d’être lu par la jeunesse, c’est C. Gracchus. La lecture de ses discours peut tout à la fois aiguiser l’esprit et féconder l’imagination.

Après lui vient, dans l’ordre des temps, C. Galba, fils de l’éloquent Servius, et gendre de P. Crassus, orateur et jurisconsulte. Nos pères estimaient son talent ; ils s’intéressaient même à ses succès en mémoire de celui dont il tenait le jour ; mais il fit naufrage loin du port. Accusé d’après la loi du tribun Mamilius contre les complices de Jugurtha, il se défendit lui-même, et fut immolé à la haine du peuple. Nous avons sa péroraison connue sous le nom d’épilogue. Elle était si estimée dans notre enfance, qu’on nous la faisait apprendre par cœur. C’est le premier membre d’un collège de prêtres qui, depuis la fondation de Rome, ait été condamné dans une cause publique.

XXXIV. P. Scipion. qui mourut consul, était peu disert, et ne parlait pas souvent ; mais il ne le cédait à personne pour la pureté du langage, et il n’avait pas de rival pour la finesse et la plaisanterie. Son collègue, L. Bestia, était un homme ardent et qui n’ignorait pas l’art de manier la parole. Dans son tribunat il rendit à la patrie Popillius, que la violence de C. Gracchus en avait arraché : heureux début, cruellement démenti par l’issue malheureuse de son consulat. En effet, des arrêts dictés par la haine frappèrent, au nom de la loi Mamilia, un homme revêtu du sacerdoce, C. Galba, quatre consulaires, L. Bestia, C. Caton, Sp. Albinos, et enfin I.. Opimius, ce grand citoyen qui donna la mort à Gracchus, et qui, absous par le peuple dont il avait été l’adversaire, fut condamné par les juges que Gracchus avait faits. Un homme bien différent de Bestia dans son tribunat et dans tout le reste de sa vie, C. Licinius Nerva fut mauvais citoyen et assez bon orateur. C. Fimbria, qui vécut à cette époque, mais beaucoup plus longtemps, passa, il faut le dire, pour un avocat brusque et de mauvaise humeur. Il était mordant, satirique, et en général trop passionné et trop véhément ; toutefois son zèle, ses mœurs, et l’énergie de son caractère, lui donnaient de l’autorité dans le sénat. Du reste, il plaidait avec quelque succès, connaissait le droit civil, et portait dans ses discours toute l’indépendance de sa vertu. Nous les lisions dans notre enfance : on aurait peine à les trouver aujourd’hui.

Avec de la grâce dans l’esprit et dans le langage, Sext. Calvinus eut une santé des plus mauvaises. Quand la goutte lui laissait quelque relâche, il ne refusait point une cause ; mais cela n’arrivait pas souvent. Aussi prêtait-il le secours