Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/539

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de ses lumières toutes les fois qu’on le voulait ; celui de sa voix, toutes les fois qu’il le pouvait. À la même époque vivait M. Brutus dont la con-duite fut un affront pour votre famille. Sans respect pour le nom qu’il portait, ni pour les vertus d’un père, excellent citoyen et grand jurisconsulte, il se fit, comme l’Athénien Lycurgue, un métier de l’accusation. Il ne demanda point les magistratures, mais ce fut un accusateur violent et redouté. Il était facile de voir qu’une perversité réfléchie avait étouffé en lui le germe des vertus héréditaires. Le plébéien Césulénus fut un autre accusateur du même temps. Je l’ai entendu dans sa vieillesse, lorsqu’il poursuivait Sabellius en réparation de dommages aux termes de la loi Aquillia. Si j’ai fait mention d’un homme aussi obscur, c’est qu’à mon avis je n’ai jamais entendu personne qui sût avec plus d’adresse noircir les intentions et supposer des crimes.

XXXV. T. Albucius était instruit dans les lettres grecques, ou plutôt il était presque Grec lui-même : telle est du moins mon opinion ; on peut au reste en juger par ses discours. Athènes fut le séjour de sa jeunesse ; il en sortit épicurien achevé : or, l’école d’Épicure ne forme pas d’orateurs. Q. Catulus était savant, non à la manière des anciens, mais à la nôtre, ou s’il en est une meilleure, à la sienne. Il avait beaucoup de littérature, une grande douceur de langage aussi bien que de mœurs et de caractère, enfin une diction pure et que ne déparait aucune tache. Cette précieuse qualité se reconnaît dans ses dis-cours, et surtout dans l’histoire de son consulat et de ses actions, écrite avec une grâce digne de Xénophon, et dédiée au poète Furius, son ami. Cet ouvrage n’est pas plus connu que les trois Livres de Scaurus dont j’ai déjà parlé.

— J’avoue, dit Brutus, que je ne connais pas plus ces ouvrages l’un que l’autre, mais c’est ma faute : il est vrai qu’ils ne me sont jamais tombés entre les mains. À présent je vous prierai de me les prêter, et de mon côté je rechercherai plus curieusement ces anciennes productions.

— Catulus, repris-je, parlait donc avec une admirable pureté, mérite plus grand qu’on ne pense, et que la plupart des orateurs négligent beaucoup trop. Je ne dirai rien du son de sa voix et du charme de sa prononciation, puisque vous avez connu son fils. Ce fils ne fut pas compté au nombre des orateurs ; mais il ne manquait ni de lumières pour opiner dans le sénat, ni d’élégance et de goût pour développer son opinion. Le père lui-même ne tenait pas le premier rang parmi les avocats célèbres. Quand on entendait ceux qui régnaient alors au barreau, il paraissait leur être inférieur ; mais quand on l’entendait lui-même et sans le comparer à d’autres, on était satisfait ; je dis plus, on ne voyait rien de mieux à désirer. Q. Métellus Numidicus, et son collègue M. Silanus, réussirent assez dans l’éloquence politique pour soutenir un grand nom et la dignité consulaire. M. Aurélius Scaurus parlait rarement, mais avec goût ; il se distingua surtout par l’élégance et la pureté de sa diction. A. Albinus eut, comme lui, le mérite d’une correction parfaite. Quant au flamine Albinus, il tenait son rang parmi les orateurs, aussi bien que Q. Cépion, homme