Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/546

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teur du même ordre, mais instruit dans les lettres grecques et né pour la parole, M. Gratidius, mon parent, ami intime d’Antoine, et son lieutenant en Cilicie, où il fut tué ; enfin accusateur de C. Fimbria, et père de Marius Gratidianus.

XLVI. Les villes alliées et le Latium mirent aussi au nombre des orateurs Q. Vettius Vettianus, du pays des Marses, que j’ai connu moi-même, homme éclairé et précis dans ses discours ; les deux Valérius Soranus, mes voisins et mes amis, moins recommandables par le talent de la parole que par leur profonde connaissance des lettres grecques et latines ; Rusticellus, de Bologne, qui tenait de l’exercice et de la nature une extrême facilité. Mais le plus éloquent de tous ceux dont Rome n’était pas le séjour, fut Bétucius Barrus d’Asculum. Il existe de lui plusieurs discours prononcés dans sa patrie. Pour la harangue qu’il fit à Rome contre Cépion, elle est célèbre. Cépion y répondit par un discours d’Élius, qui en composa un grand nombre, et ne parla jamais. Nos ancêtres estimèrent beaucoup le talent oratoire de L. Papirius de Frégelles dans le Latium, qui était à peu près du même âge que Tib. Gracchus, fils de Publius. Il nous reste de lui un discours prononcé dans le sénat en faveur de ses compatriotes et des colonies latines.

— Quel genre de mérite attribuez-vous, dit Brutus, à ces orateurs en quelque sorte étrangers ? — Le même, je pense, qu’à ceux de Rome, si ce n’est qu’il manque à leur langage ce ton et ce coloris qu’on nomme urbanité. — Mais en quoi donc, reprit-il, consiste cette urbanité inimitable ? — Je ne saurais le dire ; je sais seulement qu’elle existe. Vous le sentirez vous-même, Brutus, quand vous Irez dans la Gaule. Vous y entendrez quelques mots qui ne sont point d’usage à Romee ; mais ceux-là on peut les changer ou les oublier. Une différence plus sensible, c’est cet accent de la ville qui se remarque jusque dans le son de voix de nos orateurs ; et cette délicatesse n’est pas le privilégie des orateurs seuls ; elle s’aperçoit même dans les autres citoyens Je me souviens d’avoir vu Tincas de Plaisance, homme d’un esprit très enjoué, disputer de saillies avec le crieur Granius, notre ami. — Ce Granius dont parle souvent Lucilius ? — Lui-même. Les bons mots de Tincas ne se faisaient pas entendre ; mais ceux de Granius avaient un sel, et je ne sais quel goût d’un excellent terroir, qui désespérait son rival. Aussi je ne m’étonne plus de ce qu’on rapporte de Théophraste. Comme il demandait à une femme du peuple le prix d’un objet exposé en vente : Étranger, lui dit-elle, après avoir répondu à sa question, il est impossible de le donner à moins. Le philosophe fut d’autant plus fâché de se voir reconnu pour étranger, qu’il habitait depuis longtemps Athènes, et qu’il parlait très bien. C’est ainsi, je pense, que le langage de Rome se reconnaît, comme celui d’Athènes, à une certaine délicatesse d’accent. Mais revenons dans nos foyers, c’est-à-dire, à nos orateurs.

XLVII. Si Crassus et Antoine occupent le premier rang, Philippe est celui qui en approche le plus ; mais il n’en approche pourtant que de très loin. Ainsi, quoique personne ne vienne se placer entre lui et ces deux grands maîtres, je ne lui donnerai cependant pas la seconde, ni même la troisième place ; car je n’appellerai le second ou