Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/557

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des intérêts publics, dont ils se montreront les dignes soutiens.

Je mettrais au même rang Q. Cépion, si, par excès d’attachement à l’ordre équestre, il n’eût rompu avec le sénat. Cn. Carbon, M. Marius, et plusieurs autres, aussi peu dignes de se faire entendre à des oreilles délicates, me paraissaient faits pour régner dans des assemblées tumultueuses. Je pourrais, en anticipant sur l’ordre des temps, ranger dans cette classe L. Quintius, dont le souvenir est tout récent, et Palicanus, plus habile encore que Quintius à échauffer une multitude ignorante. Et puisque nous parlons de ces orateurs de trouble et d’anarchie, aucun des séditieux qui occupèrent la tribune depuis les Gracques ne parut aussi éloquent que L. Apuléius Saturninus. Toutefois c’était plutôt son extérieur, ses gestes, la manière même dont il portait sa robe, que la richesse de son élocution et une certaine justesse de pensées, qui captivaient son auditoire. C. Servilius Glaucia fut, sans contredit, le plus méchant des hommes qui aient jamais existé ; mais ses discours étaient pleins d’idées, de ruses oratoires, et surtout de traits plaisants. Malgré la bassesse de sa fortune et l’opprobre de sa vie, il eût été fait consul avant la fin de sa préture, si on eût jugé qu’il pût être admis au nombre des candidats. Il disposait du peuple, et par une loi agréable aux chevaliers, il s’était assuré l’appui de cet ordre. Il était préteur lorsqu’il fut immolé à la justice publique, le même jour que le tribun Saturninus, sous le consulat de Marius et de Flaccus. Cet homme ressemblait beaucoup à l’Athénien Hyperbolus, dont les vieilles comédies grecques ont flétri l’affreux caractère. Après eux vient Sext. Titius, qui savait parler, et ne manquait pas de ressources dans l’esprit, mais dont la contenance était si molle et si abandonnée, qu’on inventa une espèce de danse à laquelle on donna son nom : tant il faut éviter avec soin, dans le style et dans l’action, tout ce qui pourrait prêter à une imitation ridicule.

LXIII. Mais nous voilà remontés à une époque un peu plus reculée ; revenons à celle dont nous avons déjà dit quelque chose. À l’âge de Sulpicius se rattache un homme doué véritablement de quelque talent de parler, P. Antistius, qui, après un silence de plusieurs années, causé par les dédains du public dont il était même devenu la risée, fut applaudi pour la première fois, et dans une cause juste, pendant son tribunat. Il combattait la brigue de C. Julius, qui voulait se faire nommer consul au mépris des lois ; et il se fit d’autant plus d’honneur, que ses arguments, comparés à ceux de son collègue l’orateur Sulpicius, qui soutenait la même cause, étaient plus nombreux et plus habilement choisis. Depuis son tribunat il fut chargé de beaucoup d’affaires, et l’on finit par lui confier toutes celles qui avaient de l’importance. Il trouvait ses moyens avec sagacité ; il les disposait avec art, et sa mémoire les retenait fidèlement. Ses expressions, sans être brillantes, n’avaient rien d’abject ; sa diction coulait avec aisance et rapidité. Quant à son maintien, il ne manquait pas d’une certaine grâce ; mais un vice de prononciation et des habitudes ridicules gâtaient un peu son débit. Il se distingua surtout entre le départ et le retour de Sylla, époque où les lois étaient sans force, et le gouvernement, sans dignité. Il avait d’autant plus de succès, que le forum était alors à peu près désert.