Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LXX. T. Torquatus, fils de Titus, formé à Rhodes par les leçons de Molon, et doué par la nature d’une élocution facile, qui, s’il eût vécu, l’aurait porté au consulat depuis l’extinction de la brigue, eut plus de talent pour l’éloquence que d’inclination à parler en public. Toutefois, infidèle à l’art, mais fidèle au devoir, s’il eut peu de goût pour la parole, il n’en parla pas avec moins de zèle dans les procès de ses amis et les délibérations du sénat. M. Pontidius, mon compatriote, plaida une multitude de causes privées : les paroles coulaient de sa bouche avec une sorte de volubilité, et ses plaidoyers ne manquaient pas de mérite ; je le dirai même, ils faisaient plus que de n’en pas manquer ; mais il s’échauffait par degrés jusqu’à la colère et l’emportement, au point de quereller, et son adversaire, et, ce qui est plus étonnant, le juge lui-même, dont l’orateur doit se concilier la bienveillance.

M. Messalla, plus jeune que moi, n’était dépourvu d’aucune des qualités de l’orateur ; mais il mettait peu de brillant dans ses expressions ; du reste, éclairé, pénétrant, en garde contre les piéges, approfondissant une cause avec soin et ordonnant habilement sa défense, infatigable au travail, rendant beaucoup de services, et employé dans un grand nombre d’affaires. Les deux Métellus, Celer et Népos, étrangers à la plaidoirie, mais non sans talent et sans instruction, réussirent dans l’éloquence populaire. Cn. Lentulus Marcellinus, qui sut toujours manier la parole, parut dans son consulat plus éloquent que jamais : il avait une imagination vive, de la facilité à s’exprimer, une voix sonore, et assez d’enjouement. C. Memmius, fils de Lucius, était consommé dans la littérature, je veux dire celle des Grecs : la nôtre était l’objet de ses dédains. Orateur ingénieux et d’une élocution douce, mais fuyant le travail de parler, je dirai même celui de penser, il appauvrit son talent de tout de qu’il retrancha de son application.

LXXI. — Ici, Brutus m’interrompant : Que je voudrais, dit-il, qu’il vous plût de nous entretenir aussi des orateurs qui vivent encore ! Il en est deux dont vous avez coutume de louer les talents, César et Marcellus ; j’aurais autant de plaisir à vous entendre parler, sinon des autres, au moins de ces deux-là, que j’en ai pris à l’histoire de ceux qui ne sont plus. — Et quel besoin, répondis-je, avez-vous de mon avis sur des hommes que vous connaissez aussi bien que moi ? — Il est vrai, dit-il, que je connais assez bien Marcellus ; mais César m’est peu connu : j’ai souvent entendu le premier ; quant au second, il s’est éloigné lorsque j’aurais pu avoir une opinion. — Que pensez-vous donc de celui que vous avez souvent entendu ? — Que voulez-vous que j’en pense, sinon qu’il aura existé un homme qui vous ressemble ? — Vraiment, s’il en est ainsi, je ne saurais trop désirer qu’il vous plaise. — Il en est ainsi, n’en doutez pas ; et certes, il me plaît on ne peut davantage. Ce n’est pas sans raison ; il a étudié l’éloquence ; que dis-je ? il a renoncé pour elle à toute autre étude ; il en a fait l’unique objet de ses travaux, et chaque jour il a perfectionné son talent par de continuels exercices : aussi son style est riche et plein d’expressions choisies ; l’éclat de sa voix, la dignité de son geste donnent de la grâce et du lustre à ses paroles, et tout concourt si heureusement en lui, que je ne crois pas qu’il lui manque une seule des qualités de l’orateur. Ce qu’on ne peut trop admirer, c’est que dans le