Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/566

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et ses pensées échappaient dans la rapidité de son débit ; mais je citerais difficilement un orateur qui le surpassât pour la justesse des expressions, et l’abondance des idées. Il était d’ailleurs consommé dans la littérature, et instruit dans le droit civil, dont son père Aculéon lui avait enseigné les principes.

Reste encore, parmi ceux qui sont morts, L. Torquatus, à qui le titre d’orateur, quoique la parole ne lui manquât nullement, parait moins convenir que celui d’homme d’État. Il était savant, et d’une science qui n’avait rien de vulgaire ni de superficiel : son érudition était profonde et choisie. Sa mémoire tenait du prodige ; son style réunissait au plus haut degré la force et l’élégance ; et tous ces talents étaient relevés par l’intégrité de ses mœurs et la dignité de sa vie. Je prenais aussi un extrême plaisir à entendre Triarius, dont les discours, malgré sa jeunesse, étaient pleins d’une savante maturité. Quelle sévérité dans sa physionomie ! quelle autorité dans ses paroles ! quelle mesure dans tout ce qui sortait de sa bouche !

— Alors Brutus, vivement ému par ce souvenir de Torquatus et de Triarius, qu’il avait tendrement chéris : Oui, dit-il, sans parler des autres sujets de douleur, qui sont innombrables, ces deux noms réveillent en moi une pensée bien amère ! Ah ! pourquoi votre voix, qui ne se lassait point de conseiller la paix, n’a-t-elle jamais été écoutée ? La république n’eût perdu, ni ces deux hommes vertueux, ni tant d’autres grands citoyens. — Faisons trêve, Brutus, à ces tristes réflexions, pour ne pas aigrir nos blessures ; car si le souvenir du passé est amer, combien l’attente de l’avenir l’est-elle plus encore ! Cessons donc de gémir, et contentons-nous d’apprécier les succès de chaque orateur, puisque c’est là l’objet de nos recherches.

LXXVII. Parmi ceux qui ont péri dans cette guerre, n’oublions pas M. Bibulus. Il écrivit beaucoup et avec soin, surtout pour un homme qui n’était pas orateur ; et de plus, il fit beaucoup d’actions pleines de fermeté. Je citerai encore Appius Claudius, votre beau-père, mon collègue et mon ami. Celui-ci réunissait à l’amour du travail un savoir étendu, et un grand exercice de la parole ; il possédait en outre, avec la science de nos antiquités, celle du droit augural, et de tout le droit public. Je citerai L. Domitius, qui, sans aucune étude de l’art, parlait purement et avec une grande indépendance ; et les deux Lentulus, personnages consulaires, dont l’un, Publius, le vengeur de mes injures et l’auteur de mon rappel, dut aux préceptes des maîtres tout ce qu’il eut de talent oratoire. La nature ne l’avait pas favorisé de ses dons ; mais il avait dans l’âme tant de noblesse et de grandeur, qu’il ne craignit pas d’aspirer à tous les avantages de l’illustration, et qu’il soutint avec honneur le rôle le plus brillant. Quant à L. Lentulus, ce fut un orateur assez vigoureux, si toutefois il fut orateur ; mais il ne pouvait soutenir la fatigue de penser. Sa voix était sonore, ses expressions, plutôt choisies que négligées ; enfin, son éloquence était pleine d’âme, et avait des accents qui imprimaient la terreur. On désirerait peut-être mieux au barreau ; mais à la tribune politique son talent peut paraître suffisant. T. Postumius n’était pas non plus à mépriser comme orateur. Comme citoyen, il parla