Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/567

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qu’il combattit, emporté, ardent à l’excès, mais connaissant bien les lois et les principes du droit public.

— Ici Atticus m’interrompant : Je vous supposerais, dit-il, l’intention de flatter, si tous ceux dont vous recueillez les noms depuis quelque temps, n’étaient pas morts. Quiconque osa jamais se lever et parler devant des hommes, obtient de vous une mention. En vérité, je suis tenté de croire que c’est par oubli que vous ne dites rien de M. Servilius.

LXXVIII. — Je n’ignore pas, Atticus, que parmi ceux qui n’ont jamais ouvert la bouche en public, il en est beaucoup qui auraient mieux parlé que les orateurs dont je recueille ici les noms ; mais cette énumération a au moins un avantage ; c’est de nous montrer combien il en est peu, sur la totalité des hommes, qui aient osé faire entendre leur voix ; et combien peu, parmi ceux qui l’ont osé, ont mérité des éloges. Ainsi, je n’omettrai pas même deux chevaliers romains, nos amis, morts depuis peu, P. Cominius de Spolette, dont l’éloquence était sage et facile, et contre lequel j’ai défendu C. Cornélius, ni T. Attius de Pisaure, à l’accusation duquel je répondais dans la cause de Cluentius. Il parlait purement et avec assez d’abondance ; il était en outre formé à l’école d’Hermagoras, peu riche, il est vrai, d’ornements oratoires, mais qui, en fournissant des arguments tout prêts pour chaque genre de cause, arme l’orateur, comme le vélite, de traits qu’il n’a plus qu’à lancer. Mais je n’ai connu personne qui eût plus d’ardeur et d’activité que mon gendre Pison ; je ne vois pas même qui l’on pourrait lui préférer du côté du talent : il n’y avait pas un de ses moments qui ne fût employé soit à plaider au barreau, soit à s’exercer dans le cabinet, soit à écrire, soit à méditer ; aussi faisait-il tant de progrès, qu’il paraissait voler plutôt que courir. Chez lui, un heureux choix de mots élégants s’arrondissait en périodes harmonieuses, et des arguments solides et nombreux étaient relevés par une foule de pensées fines et piquantes. Son geste était naturellement si gracieux, que l’art, qui cependant n’y entrait pour rien, paraissait en avoir réglé les mouvements. Je crains qu’on ne soupçonne ma tendresse d’exagérer son mérite ; mais non, et je pourrais encore louer en Pison de plus grandes qualités. Car pour l’empire sur ses passions, la bonté du cœur, toutes les vertus enfin, je ne pense pas qu’aucun Romain de son âge puisse lui être comparé.

LXXIX. Je ne crois pas devoir passer sous silence M. Célius, quels qu’aient été à la fin de sa vie ou sa mauvaise fortune ou son mauvais esprit. Tant qu’il suivit mes conseils, aucun citoyen ne défendit avec plus de fermeté, qu’if ne le fit dans son tribunat, la cause du sénat et des gens de bien contre les fureurs populaires et l’audace insensée des pervers ; et ses courageux efforts étaient secondés par une éloquence brillante, noble, et surtout pleine d’agrément et d’urbanité. Il prononça plusieurs harangues d’une grande force, et trois accusations très vives, toutes dans l’intérêt de la république. Ses plaidoyers, quoique inférieurs aux discours que je viens de citer, ne sont pourtant pas méprisables ni dénués de mérite. Porté à l’édilité curule par les yeux unanimes des gens de bien, je ne sais comment, une fois que je fus éloigné de lui, lui-même s’éloigna de ses voies ; il est tombé, dès qu’il s’est fait l’imitateur de ceux qu’il avait renversés.