Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/576

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charger des causes publiques et privées. J’arrivais au barreau, non pour m’y former comme presque tous l’ont fait ; mais j’y apportais un talent aussi perfectionné qu’il avait été en mon pouvoir. Dans le même temps, je pris des leçons de Molon qui, sous la dictature de Sylla, vint à Rome pour y traiter des récompenses dues aux Rhodiens. Mon premier plaidoyer dans une affaire criminelle, celle de Sext. Roscius, eut tant de succès, que désormais ma voix parut digne de soutenir les causes les plus importantes. Beaucoup me furent successivement confiées, et je consacrai toujours à les préparer la plus sérieuse attention et les veilles les plus assidues.

XCI. Maintenant, puisque vous paraissez vouloir me connaître, non par quelques signes naturels, ou quelques marques particulières, mais par tout l’ensemble de ma personne, j’ajouterai plusieurs détails, qui sembleront peut-être assez peu nécessaires. J’étais alors très maigre et d’une complexion très délicate ; j’avais le cou long et mince ; enfin une santé et une conformation qui, dit-on, n’est pas rassurante pour la vie, quand on y joint le travail et de grands efforts de poitrine. Aussi les personnes auxquelles j’étais cher s’en alarmaient d’autant plus, que je prononçais un discours entier sans baisser le ton ni varier mon débit, de toute la force de ma voix, et avec une véhémence d’action à laquelle tout mon corps prenait part. Mes amis et les médecins me conseillaient d’abandonner la plaidoirie. Mais je crus devoir m’exposer à tout plutôt que de renoncer à la gloire que me promettait l’éloquence. Au reste, comme j’étais persuadé qu’en modérant ma voix et mes efforts, et en changeant ma déclamation, je pourrais tout à la fois échapper au danger, et me faire une manière plus réglée et plus sage, je résolus d’étudier une autre méthode, et dans ce dessein je partis pour l’Asie. Ainsi, après avoir défendu des causes pendant deux ans, et acquis déjà quelque célébrité au barreau, je quittai Rome.

Arrivé à Athènes, je passai six mois avec Antiochus, le plus savant et le plus illustre philosophe de la vieille académie. Là je recommençai sous un maître si riche de science, et si habile à la transmettre, l’étude de la philosophie que je n’avais jamais abandonnée, et dans laquelle je n’avais cessé, depuis ma première jeunesse, de chercher tous les jours quelque nouvelle connaissance. Dans le même temps, je ne laissais pas de m’exercer à l’art oratoire, auprès de Démétrius de Syrie, maître ancien et assez renommé. Ensuite je parcourus toute l’Asie, accompagné des plus grands orateurs, qui dirigeaient mes exercices avec beaucoup de complaisance. Le premier d’entre eux était Ménippe de Stratonice, l’homme, selon moi, le plus éloquent qu’il y eût alors dans toute l’Asie. Certes, si c’est le caractère de l’atticisme de ne rien dire d’affecté ni d’inconvenant, cet orateur mérite d’être compté parmi les Attiques. Denys de Magnésie ne me quittait pas ; j’avais aussi auprès de moi Eschyle de Cnide, Xénoclès d’Adramytte : c’étaient les plus célèbres rhéteurs de l’Orient. Je ne m’en tins pas encore là. Je vins à Rhodes, où je m’attachai de nouveau à ce même Molon, que j’avais entendu à Rome. Habile avocat, excellent écrivain, il savait en outre critiquer avec finesse, et donnait avec un rare talent de savantes leçons. Il réprima, ou du moins il fit tous ses efforts pour réprimer les écarts où m’entraînait la fougue d’un