Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/577

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âge impunément audacieux, et pour resserrer dans de justes limites le torrent débordé d’une élocution redondante. Aussi, lorsque après deux ans je revins à Rome, j’étais beaucoup mieux exercé, ou pour mieux dire, je n’étais plus le même. Ma déclamation était moins véhémente, mon style, moins impétueux. D’un autre côté, ma poitrine s’était fortifiée, et mon corps avait acquis un embonpoint raisonnable.

XCII. Deux orateurs excellaient alors, Cotte et Hortensius, et leurs succès allumaient en moi la plus vive émulation. Le premier, doux et coulant, exprimait avec aisance et facilité des pensées revêtues de l’expression la plus naturelle ; l’autre, orné et plein de feu, n’était pas tel que vous l’avez connu, Brutus, déjà sur le déclin de son talent : il avait un tout autre mouvement et de style et d’action. Il me sembla donc que c’était surtout contre Hortensius que j’avais à lutter, parce que c’était de lui que mon âge, et la chaleur qui m’animait en parlant, me rapprochaient davantage. Je remarquais aussi que dans les causes où je les avais vus plaider ensemble, comme celle de M. Canuléius et celle du consulaire Dolabella, Hortensius avait toujours rempli le premier rôle, quoique Crotta eût été choisi comme principal défenseur. C’est qu’une grande réunion d’hommes et le fracas du barreau demandent un orateur ardent et passionné, une action forte et une voix sonore. Pendant l’année qui suivit mon retour d’Asie, je fus chargé de plusieurs causes importantes. Je sollicitais alors la questure ; Cotte, le consulat ; Hortensius, l’édilité. Après ma questure vient l’année où j’allai en Sicile remplir les mêmes fonctions. Cotta partit pour la Gaule au sortir du consulat ; Hortensius, resté à Rome, était le premier, et au barreau, et dans l’opinion publique. À mon retour de la Sicile après un an d’absence, mon talent, quel qu’il soit, parut arrivé à la perfection dont il était susceptible, et, pour ainsi dire, à son point de maturité. Ces détails sur moi-même sont peut-être un peu longs, surtout dans ma bouche ; mais ce n’est pas mon talent et mon éloquence dont je prétends ici vous faire l’histoire ; loin de moi cette vanité : ce sont mes travaux, c’est l’emploi de mon temps que je vous fais connaître. Après avoir, pendant cinq ans à peu près, plaidé beaucoup de causes et tenu ma place parmi les principaux avocats, je fus chargé des intérêts de la Sicile, et je soutins, édile désigné, contre Hortensius désigné consul, la lutte la plus vive que j’aie eue avec lui.

XCIII. Mais comme ce n’est pas seulement une énumération des orateurs, mais quelques utiles leçons que nous cherchons dans tout cet entretien, je puis dire en peu de mots ce qu’une censure impartiale peut, selon moi, reprocher à Hortensius. Après son consulat, voyant qu’aucun de ceux qui avaient joui de la même dignité ne pouvait rivaliser avec lui, et s’inquiétant peu sans doute de ceux qui n’avaient pas été consuls, il laissa refroidir ce zèle ardent qui l’avait enflammé dès sa jeunesse, et voulut profiter de sa grande fortune pour mener une vie, selon lui plus heureuse, à coup sûr plus oisive. La première, la seconde, la troisième année, firent sur son éloquence l’effet du temps sur une ancienne peinture : l’affaiblissement du coloris, sans être sensible pour le spectateur vulgaire, ne l’était que trop pour les juges éclairés. Bientôt, par un mal-