Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Hortensius a jeté plus d’éclat dans sa jeunesse que dans son âge mûr, nous en trouverons deux raisons principales. D’abord il avait une éloquence asiatique. qui convient mieux au jeune âge qu’à la vieillesse. Or, ce genre se subdivise en deux espèces : l’une sentencieuse et subtile, mais nourrie de pensées moins graves et sérieuses, que piquantes et délicates. Tel était dans l’histoire le style de Timée, et dans le discours, celui d’Hiéroclès d’Alabanda, et surtout de Ménéclès, son frère, qui florissaient dans ma jeunesse, et dont les compositions sont des chefs-d’œuvre du genre asiatique. La seconde espèce est moins remarquable par la multitude des pensées que par la légèreté et le mouvement du style. C’est celle qui domine actuellement dans toute l’Asie. Non seulement les phrases coulent avec une facile abondance ; mais l’expression est ornée et brillante. C’est ainsi que parlaient Eschyle de Cnide, et mon égal en âge Eschine de Milet : leur discours se développait avec une aisance admirable, mais il n’avait point de ces ingénieuses combinaisons d’idées qui distinguent l’autre manière. L’une et l’autre, je le répète, conviennent mieux dans un jeune homme ; elles n’ont point assez de gravité pour la vieillesse. Hortensius, qui excellait dans toutes les deux, enleva les suffrages tant qu’il fut jeune. Il abondait, ainsi que Ménéclès, en pensées vives et délicates, parmi lesquelles, chez lui comme chez l’orateur grec, quelques-unes étaient plus agréables et plus fleuries que nécessaires or même utiles. Animé, impétueux, son style était en même temps travaillé et poli. Le goût des vieillard n’était pas satisfait ; souvent je voyais Philippe rire de pitié, ou même s’indigner et maudire l’orateur : cependant les jeunes gens admiraient ; la multitude était émue. Hortensius, dans sa jeunesse, excellait donc au jugement du peuple, et le premier rang ne lui était pas contesté. Si ce genre d’éloquence n’avait rien de très imposant, il paraissait du moins approprié à son âge ; on y voyait briller d’ailleurs une certaine beauté de génie perfectionnée par l’exercice, et qui, jointe au tour heureux de ces périodes, excitait des transports d’admiration. Mais quand les honneurs, quand la dignité de l’âge mûr, demandèrent quelque chose de plus grave, ce fut toujours le même orateur, ce n’étaient plus les mêmes convenances. Comme il s’exerçait beaucoup moins, et que sa passion, jadis si vive pour le travail, s’était refroidie, tout en conservant cette abondance de pensées ingénieuses qui se pressaient dans ses discours, il ne savait plus, comme autrefois, les revêtir de la parure d’un style éblouissant. C’est sans doute pour cela, mon cher Brutus, qu’il vous a moins plu qu’il ne l’aurait fait, si vous eussiez pu l’entendre lorsqu’il était animé de toute son ardeur, et si vous l’eussiez connu dans tout l’éclat de son talent.

XCVI. — Je vous entends, dit Brutus, et je rends tout à la fois justice à vos réflexions et au talent d’Hortensius. Il m’a toujours semblé un grand orateur, et je l’ai admiré surtout lorsqu’il a parlé pour Messalla pendant votre absence. — On dit, répondis-je, qu’il parla bien, et son discours, écrit mot pour mot comme il l’a prononcé