Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/578

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heureux progrès, tout dégénéra chez lui, mais principalement cette élocution facile et rapide qui semblait couler de source. Une pénible hésitation l’avait remplacée, et Hortensius paraissait chaque jour plus différent de lui-même. Pour moi, je ne cessais de perfectionner par toutes sortes d’exercices, et surtout en écrivant beaucoup, ce que je pouvais avoir de talent. Je passe rapidement sur cette époque et sur les années qui suivirent mon édilité. Je fus fait préteur ; je fus nommé le premier, et nommé avec une étonnante unanimité de suffrages ; mon assiduité au barreau, mon zèle, une méthode oratoire qui s’éloignait des routes communes et plaisait par sa nouveauté, avaient fixé sur moi l’attention des citoyens. Ici ce n’est plus de moi-même que je parle ; je parle des autres orateurs. Il n’y en avait pas un seul qui parût avoir une connaissance plus approfondie que le peuple, de la grammaire, cette source première de la parfaite éloquence ; pas un qui eût étudié la philosophie, cette école où l’on apprend à bien faire et à bien dire ; pas un qui eût appris le droit civil, si nécessaire dans les causes privées, et si propre à augmenter les lumières de l’orateur ; pas un qui possédât l’histoire romaine, pour évoquer au besoin, du séjour des morts, des témoins irrécusables ; pas un qui sût à la fois, par des traits rapides et ingénieux, presser son adversaire, et délasser l’esprit des juges, en égayant un moment leur gravité ; pas un qui fût capable d’agrandir un sujet, et de s’élever d’une cause particulière et déterminée à la question générale qui embrasse toutes les causes semblables ; pas un qui, pour plaire, se permit quelquefois d’utiles digressions ; qui tour à tour enflammât la colère ou fit couler les larmes ; qui possédât enfin le secret le plus important de l’éloquence, celui de communiquer à l’esprit du juge toutes les impressions favorables à sa cause.

XCIV. Il ne restait presque plus rien d’Hortensius, lorsque, arrivé à l’âge fixé par les lois, six ans après son consulat, je fus fait consul à mon tour. C’est alors que, me voyant son égal en dignité, il craignit ma rivalité pour le reste, et se remit au travail. Ainsi, pendant les douze années qui suivirent mon consulat, nous fûmes chargés l’un et l’autre des plus grandes causes. Toujours parfaitement unis, je le mettais au-dessus de moi ; il me mettait au-dessus de lui ; et si mon élévation avait d’abord légèrement blessé son amour-propre, l’estime qu’il conçut pour mes services établit entre nous une étroite liaison. Notre grande habitude du forum se manifesta surtout quelque temps avant cette époque de terreur, où l’éloquence, effrayée par le bruit des armes, s’est vue tout à coup réduite au silence. Alors la loi de Pompée n’accordait que trois heures à l’avocat, et nous plaidions chaque jour, paraissant toujours nouveaux dans des causes tout à fait semblables, ou plutôt absolument les mêmes. Vous aussi, Brutus, vous y faisiez entendre votre voix, et vous en avez défendu plusieurs, soit seul, soit avec nous. Car, bien qu’Hortensius ait trop peu vécu, telle est pourtant la carrière qu’il a fournie : entré au barreau dix ans avant votre naissance, il a, dans sa soixante-quatrième année, peu de jours avant sa mort, défendu avec vous votre beau-père Appius. Pour en venir au genre d’éloquence particulier à chacun de nous deux, nos discours existent, et la postérité même en pourra juger.

XCV. Mais si nous cherchons pourquoi le talent