Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/241

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d’animaux ? La terre pourrait-elle les nourrir ? De quel réservoir les rivières et les fontaines tireraient-elles les eaux qu’elles viennent de si loin verser dans l’océan ? Comment l’éther entretiendrait-il les feux du ciel ? Si les éléments étaient périssables, la révolution de tant de siècles écoulés devrait en avoir tari la source. Si, au contraire, aussi anciens que les temps, ils travaillent de toute éternité aux reproductions de la nature, il faut qu’ils soient immortels, et que rien dans l’univers ne puisse s’anéantir.

Ces pluies, que l’air fécond verse à grands flots dans le sein de notre mère commune, te paraissent perdues ? Mais par elles la terre se couvre de moissons, les arbres reverdissent, leur cime s’élève, leurs rameaux se courbent sous le poids des fruits. Les pluies fournissent des aliments aux hommes et aux animaux : de là cette jeunesse florissante qui peuple nos villes, ce nouvel essaim d’oiseaux qui dans les bois chantent sous la feuillée, et ces troupeaux qui reposent dans les riants pâturages leurs membres fatigués d’embonpoint, tandis que des ruisseaux d’un lait pur s’échappent de leurs mamelles gonflées : enivrés de cette douce liqueur, les tendres agneaux s’égayent sur le gazon, et essayent entre eux mille jeux folâtres. Les corps ne sont donc pas anéantis en disparaissant à nos yeux : la nature de leurs débris forme de nouveaux êtres, et ce n’est que par la mort des uns qu’elle accorde la vie aux autres.

IV
DEUX PRINCIPES : LES CORPS ET LE VIDE.

La nature résulte de deux principes existants par eux-mêmes : les corps et le vide où nagent les corps, et à l’aide duquel ils se meuvent. L’existence des corps nous est démontrée par le témoignage des sens, fondement inébranlable de la certitude, sans lequel la raison, abandonnée à elle-même, nous égare dans un dédale d’obscurités. Quant à l’espace que nous appelons vide, s’il n’existait pas, les corps ne seraient situés nulle part et ne pourraient se mouvoir.

Il n’est rien dans la nature que nous puissions concevoir en dehors du vide et indépendant de la matière, qui constitue un troisième principe. Car tout ce qui existe a nécessairement une étendue, grande ou petite : sans quoi il n’exis-