Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/248

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tu n’as pas trouvé l’extrémité. Je te poursuivrai de cette manière, et partout où tu fixeras des bornes, je te demanderai ce que deviendra la flèche. Ainsi jamais tu ne trouveras les limites du monde ; son immensité laissera toujours au trait un espace à parcourir.

Outre cela, si la nature avait environné de bornes le grand tout, la matière par sa pesanteur se serait rassemblée dans les lieux les plus bas. Dès lors plus de productions sous la voûte des cieux ; nous ne verrions plus ni l’azur du firmament, ni la lumière du soleil ; la matière affaissée depuis tant de siècles ne serait plus qu’un amas d’atomes sans énergie. Au contraire, les principes élémentaires ne connaissent point le repos, parce qu’il n’y a point de lieu inférieur où ils puissent se rassembler et s’établir dans l’inaction : ainsi un mouvement continuel crée à chaque instant des êtres dans tous les points de l’espace, et l’infini est la source qui fournit sans cesse des flots d’une manière active et éternelle.

Enfin nous voyons tous les corps bornés par d’autres corps, les montagnes par l’air, et l’air par les montagnes ; la terre donne des rivages à la mer, qui à son tour environne les continents : mais ce vaste univers n’a rien hors de lui qui le termine. Telle est donc la nature de l’espace et du lieu, qu’un grand fleuve, après avoir coulé pendant l’éternité, bien loin d’arriver aux bornes de l’univers, ne serait pas plus avancé qu’au commencement de son cours : ainsi le monde, dégagé de limites, s’étend à l’infini en tout sens.

D’ailleurs, l’essence même de l’univers ne comporte pas de limites : la nature a voulu que la matière fût bornée par le vide et le vide par la matière, afin de rendre ainsi tout son ouvrage infini. Si le vide seul était sans bornes et que la matière en eût, ni la mer, ni la terre, ni le palais brillant du ciel, ni l’espèce humaine, ni les corps augustes des dieux ne pourraient un instant subsister. La matière, n’étant plus assujettie, se disperserait dans l’immensité du vide ; ou plutôt jamais elle ne se fût réunie, jamais la somme des atomes n’eût acquis la consistance nécessaire pour former un corps.

X
FORMATION DU MONDE.

Sûrement tu ne diras pas que les principes de la ma-