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L’ÉPICURISME DANS HOBBES.

I
LA SENSATION.

Par le mot esprit, nous entendons un corps naturel d’une telle subtilité qui n’agit point sur les sens, mais qui remplit une place ; comme-pourrait la remplir l’image d’un corps visible. Ainsi la conception que nous avons d’un esprit est celle d’une figure sans couleur ; dans la figure nous concevons la dimension ; par conséquent concevoir un esprit, c’est concevoir quelque chose qui a des dimensions.

Nous qui sommes des chrétiens, nous disons que l’âme humaine est un esprit ; mais il est impossible de le savoir, c’est-à-dire d’en avoir une évidence naturelle ; car toute évidence est conception, et toute conception est imagination et vient des sens.

La sensation est le principe de la connaissance, et tout savoir en dérive.

La sensation elle-même n’est pas autre chose qu’un mouvement de certaines parties qui existent à l’intérieur de l’être sentant, et ces parties sont celles des organes à l’aide desquels nous sentons.

La mémoire consiste à sentir que l’on a senti.

Quant à l’imagination, c’est la sensation continuée, mais affaiblie[1].

Comme une eau stagnante, mise en mouvement par une pierre qu’on y aura jetée ou par un coup de vent, ne cesse pas de se mouvoir aussitôt que la pierre est tombée au fond ou dès que le vent cesse ; de même l’effet qu’un objet a produit sur le cerveau ne cesse pas aussitôt que cet objet cesse d’agir sur les organes. C’est-à-dire que, quoique la sensation ne subsiste plus, son image ou sa conception reste, mais plus confuse lorsqu’on est éveillé… C’est cette conception obscure et confuse que nous nommons fantaisie ou imagination. Ainsi l’on peut définir l’imagination une conception qui reste et qui s’affaiblit peu à peu à la suite d’un acte des sens[2].

  1. De la nature humaine, ch. xi.
  2. De la nature humaine, ch, iii.